La justice

Esprit de l’U.A.A.

U.A.A. extrêmement engageante et pleine de potentiel, La justice promet de nombreux moments de discussion qui permettent l’exercice des habiletés de pensée. La prolifération des thèmes et des exemples implique dès lors d’au moins circonscrire les différents moments de réflexion. En effet, s’il s’agit toujours de justice, ce n’est pas la même chose de parler de la justice sociale, du concept de justice au sens philosophique, de la prison ou du bien. Il y a donc un risque non négligeable de transformer la séquence en une sorte de café du commerce si on ne précise pas de quoi on parle, de quelle justice on parle. Ainsi, en guise de conseil, on pourra insister sur l’importance de bien choisir ses exemples et d’anticiper au minimum le champ d’investigation qu’auront ouvert les cas concrets que nous proposons. De ce fait, la précision des notions viendra articuler les champs entre eux offrant un panorama complet qui fera sens.

Compétences

Problématiser le concept de justice

Il s’agira essentiellement de brosser un portrait des différentes représentations et conceptions de la justice (institutionnelle, idéale, en tant que valeur, etc. ) et d’en montrer les dimensions opposées voire contradictoires.

Identifier différentes conceptions de la justice et justifier les raisons qui peuvent amener à privilégier l’une ou l’autre d’entre elles.

Il s’agira sur la base de ces différents éléments mis en avant d’être capable de les repérer et de porter un jugement évaluatif sur la pertinence de leur utilisation pour résoudre des problèmes.

Glossaire des notions

Principe moral impliquant la conformité de la rétribution avec le mérite, le respect de ce qui est conforme au droit. (source)

Jugement, réparation, sanction légale des fautes commises contre un individu ou contre la société; exercice du pouvoir judiciaire. (source)

La légitimité suppose l’existence d’une norme qui est non seulement un objet d’obéissance, mais aussi de respect, au sens le plus moral de ce terme. (source : Olivier Dekens, Philosopher, Les repères, Ellipses Édition Marketing, Paris, 2021, pp. 68-69.)

(Équité) “Telle est la nature de l’équitable : c’est d’être un correctif de la loi, là où la loi a manqué de statuer à cause de sa généralité. En fait, la raison pour laquelle tout n’est pas défini par la loi, c’est qu’il y a des cas d’espèce pour lesquels il est impossible de poser une loi, de telle sorte qu’un décret est indispensable.” (source : ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, V, 14. L’équité et l’équitable, traduction Tricot (revue), Paris, Vrin.)

(Égalité) Fait de ne pas présenter de différence quantitative. Fait de ne pas présenter de différence de qualité, de valeur. (source)

La justice distributive s’efforce de résoudre des conflits de répartition d’un ensemble de biens entre des individus. S’il s’agit toujours de trouver des procédures impartiales ou de bonnes règles pour parvenir à un partage jugé équitable, les nombreux travaux théoriques ou empiriques qui ont porté sur cette question ont souligné, entre autres, la diversité des critères considérés comme légitimes suivant la nature des conflits en cause et leur contexte — même en se limitant à des sociétés modernes. (source)

La justice commutative est un système créé par Aristote qui règle les échanges entre les individus conformément au principe de l’égalité arithmétique. Ainsi, une personne doit recevoir l’équivalent de ce qu’il donne. (source)

La justice sociale est fondée sur l’égalité des droits pour tous les peuples et la possibilité pour tous les êtres humains sans discrimination de bénéficier du progrès économique et social partout dans le monde. Promouvoir la justice sociale ne consiste pas simplement à augmenter les revenus et à créer des emplois. C’est aussi une question de droits, de dignité et de liberté d’expression pour les travailleurs et les travailleuses, ainsi que d’autonomie économique, sociale et politique. (source)

Human Rights Watch considère la justice internationale – c’est-à-dire les efforts déployés pour que les auteurs de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité soient amenés à répondre de leurs actes lors de procès équitables – comme un élément essentiel du renforcement du respect des droits humains. (source)

“Cette précision préliminaire ne remet pas en cause la pertinence de la comparaison entre vérité scientifique et vérité judiciaire, ni même la question de spécificité de la vérité judiciaire par rapport à la vérité scientifique, même ainsi relativisée. Effectivement, le caractère le plus important de la vérité judiciaire est l’irrévocabilité du jugement qu’elle produit et elle s’oppose, en ce sens, à la conception que l’on se fait aujourd’hui de la vérité scientifique. Cette irrévocabilité peut donner lieu au fantasme qui traverse l’histoire du droit d’un jugement infaillible, mais objectivement, elle ne consiste pas en une infaillibilité. L’autorité de la chose jugée contient certaines apparences d’infaillibilité qu’on peut alors comparer au dogme. On parle d’ailleurs de dogmatique juridique, comme on parle de dogmatique théologique. Dans les deux cas, les propositions sont considérées comme définitives et ne peuvent être mises en question. Toutefois, d’un point de vue critique, sur le plan juridique, il est clair que seule la notion d’irrévocabilité paraît acceptable.”Cette précision préliminaire ne remet pas en cause la pertinence de la comparaison entre vérité scientifique et vérité judiciaire, ni même la question de spécificité de la vérité judiciaire par rapport à la vérité scientifique, même ainsi relativisée. Effectivement, le caractère le plus important de la vérité judiciaire est l’irrévocabilité du jugement qu’elle produit et elle s’oppose, en ce sens, à la conception que l’on se fait aujourd’hui de la vérité scientifique. Cette irrévocabilité peut donner lieu au fantasme qui traverse l’histoire du droit d’un jugement infaillible, mais objectivement, elle ne consiste pas en une infaillibilité. L’autorité de la chose jugée contient certaines apparences d’infaillibilité qu’on peut alors comparer au dogme. On parle d’ailleurs de dogmatique juridique, comme on parle de dogmatique théologique. Dans les deux cas, les propositions sont considérées comme définitives et ne peuvent être mises en question. Toutefois, d’un point de vue critique, sur le plan juridique, il est clair que seule la notion d’irrévocabilité paraît acceptable.” (source : (2014). La vérité judiciaire: Les décisions de justice sont-elles falsifiables ?. Sens-Dessous, 14, 51-56.)

(Rendre justice) “Le fait de rendre justice est un acte politique dans la mesure où il implique à la fois une décision qui impacte la société et des individus, et rend compte de la représentation qu’une société se donne d’elle-même. En ce sens l’acte de rendre justice est une forme qui engage collectivement une société donnée, avec son histoire, sa sociologie, ses valeurs et son régime. Dans cette perspective il s’agit d’interroger la place du juge dans la société, le rôle de son office, son environnement, et sa marge de manœuvre et donc de se demander comment l’autorité judiciaire, à travers le juge, participe-t-elle à une mise en forme du social.” (source)

(Vengeance) Action par laquelle une personne offensée, outragée ou lésée, inflige en retour et par ressentiment un mal à l’offenseur afin de le punir; résultat de cette action. (source)

Système primitif du droit pénal dans lequel la victime d’un dommage a le droit de causer à l’auteur de celui-ci un autre dommage, à moins qu’il n’intervienne entre les parties une composition pécuniaire moyennant laquelle l’offensé renonce à son droit de vengeance (à l’époque franque en particulier). (source)

“C’est dans un chapitre souvent négligé (I. 9) de The Methods of Ethics que Henry Sidgwick, le plus grand philosophe moral de la seconde moitié du xixe siècle, nous livre quelques-unes des réflexions les plus pénétrantes sur les fondements de l’éthique. La nature de la valeur morale prend deux formes complètement différentes, dit-il, selon que l’on considère la notion de juste (right) ou la notion de bien (good) comme fondamentale. De surcroît, ces deux conceptions de la morale, poursuit-il, sont historiquement distinctes. La priorité du bien est au centre de l’éthique grecque, tandis que l’éthique moderne accorde la priorité à la notion de juste. Les remarques de Sidgwick me semblent d’une grande pertinence. Dans ce chapitre, je montrerai de quelle manière ces deux conceptions de la morale diffèrent et pourquoi il est utile d’expliquer ainsi les différences entre l’éthique ancienne et l’éthique moderne.” (source : Larmore, C. (1993). Chapitre II. Le juste et le bien. Dans : , C. Larmore, Modernité et morale (pp. 45-69). Paris cedex 14: Presses Universitaires de France.)

Séquence : En guise d’accroche

Dans l’optique de proposer une réflexion sur la justice, nous commencerons par mobiliser et faire intervenir la représentation qu’ont les élèves de la justice. Pour ce faire, nous utiliserons le podcast d’Arte : L’avocate du diable, dans lequel une avocate pénaliste (du côté de la défense) explique son travail et sa vision de la justice.

L’idée est de proposer aux élèves de l’écouter à domicile et de relever les éléments avec lesquels ils sont d’accord ou non, s’ils trouvent les propos choquants ou non et de dire en quoi la représentation de la justice de l’avocate correspond ou non à la leur. Le tout se fait sans trop de formalisme étant donné le caractère très clivant de l’interviewée et son franc parler.

Après un moment d’échange autour des représentations et des commentaires des uns et des autres, vient le temps de l’analyse du podcast à proprement parler. Car à bien y tendre l’oreille, on se rend compte que le propos de l’avocate évolue au fur et à mesure de son témoignage. Cette évolution n’est pas celle d’un changement de point de vue ou d’avis, mais bien un changement dans le traitement de ce qu’on appelle justice. Ainsi, si le cadre institutionnel est prédominant dans ce podcast, le recours à un interrogation sur le caractère juste de la justice prend de plus en plus d’ampleur au fur et à mesure que l’assurance et le côté “agaçant” de l’avocate-compétitrice laisse place à une colère qui prend racine dans le traitement toujours défavorable des accusés.

C’est en ce sens que ce podcast est idéal dans son rôle d’accroche choc car il invitera fortement les élèves à prendre position en réaction, réaction qui sera nuancée par une analyse plus minutieuse de ce qui est dit et qui introduit les grands éléments dont nous aurons besoins pour explorer et problématiser le concept de Justice.


Premier arrêt : La notion de droit

Partant de cette accroche qui contient en substance de nombreux éléments de réflexion, nous faisons une première halte de précision des notions afin d’introduire celle de droit. Abordant le texte d’Adelino Braz, il s’agira de révéler et d’analyser la nature du droit afin d’éclairer l’accroche de la séquence et, par là montrer en quoi elle incarnait cette difficulté dans le rapport à la loi.

Afin de bien distinguer cette difficulté relevée par Braz et de ne pas la confondre avec le sentiment de justice et la relativité de la loi, on passera par le célèbre texte de Pascal. Ce sera d’ailleurs l’occasion de travailler (sans autre enjeu concernant que la compréhension générale) un texte philosophique faussement abordable à cause d’un style qui, s’il est très agréable à découvrir, emploie des formulations qui appelleront à être explicitées.


Transition : Le cas du kanun

Comme indiqué dans la présentation, les exemples ne manquent pas pour donner corps à cette séquence. Parmi ceux-ci, le cas du kanun est particulièrement éclairant par bien des aspects. En effet, cette pratique traditionnelle de “vengeance codifiée”, en plus de son aspect spectaculaire, porte en son sein de nombreux aspects de la problématique comme le fait de pouvoir l’appliquer sur un membre de la famille du fautif, ou le fait de pouvoir sortir de cette spirale moyennant compensation financière, mais également dans une part de l’explication de l’utilisation de cette vieille tradition à cause d’une certaine faillite de l’État à faire respecter la justice dans cette région.


Deuxième arrêt : L’équitable chez Aristote

Afin de boucler la séquence qui a essentiellement tourné autour du concept de justice dans sa relation au droit, à la loi ou à la nature, le texte d’Aristote sur l’équité est idéal moyennant un exercice de précision sémantique entre les différentes notions abordées tout au long de l’U.A.A. Grâce à l’ajout de la notion d’équité, nous pouvons alors aborder une dimension supplémentaire du concept de justice qui a accompagné implicitement le parcours des élèves à savoir le juste.

Pour ce faire de manière rigoureuse, il parait indispensable d’aborder la question de l’équité selon Aristote en précisant le caractère vertueux, le “moins que son dû”, pour faire émerger les conflits qui peuvent apparaître entre égalité et équité comme avoir la possibilité de bénéficier d’un droit et bénéficier d’un droit parce qu’on en a la possibilité (sans nécessité), etc. Dans le cas d’Aristote, c’est le caractère vertueux de l’équitable qui permet à la fois d’interroger la relation entre justice, droit et morale (on peut y ajouter la distinction entre juspositivisme et jusnaturalisme), mais aussi de permettre une “internationalisation” de la question à travers les thématiques du commerce équitable, de la juste rétribution et des inégalités dans le monde (pour sortir un peu du carcan juridique).

Un texte qui boucle ainsi une séquence qui pourra se finir par un retour sur le témoignage de l’avocate afin d’y préciser les sens du mot justice que nous avons faits éclore tout au long de l’U.A.A.

Quelques vidéos sur la justice

L’avocate du Diable

Le kanun en Albanie

Présentation du livre “Repenser l’inégalité

Quelques idées de lecture