Punir, c’est infliger une souffrance. La souffrance est un mal. Infliger une souffrance, qui est un mal (comme on a le droit de le faire si l’on a le droit de punir), se justifie si et seulement si de ce mal peut sortir quelque bien. La victime d’une mauvaise action cherche, assez naturellement, à se venger. Elle peut souhaiter que le coupable souffre en compensation de la souffrance qu’elle-même a subie. Mais ce souhait, s’il est naturel, n’est pas pour autant raisonnable. Punir ne se justifie aucunement s’il s’agit seulement de faire en sorte que le coupable « paie » pour son crime. L’action de punir, comme toute autre action, ne se justifie que s’il en résulte quelque chose de bon. Elle ne saurait n’avoir d’autre aboutissement que la souffrance. Si l’enfant doit être puni, c’est seulement dans la mesure où l’action de punir peut être intégrée à l’œuvre d’éducation. Il s’agit surtout de faire en sorte qu’il se souvienne, de lui façonner une mémoire. Pourquoi punir l’adulte criminel ? D’un point de vue moral, il est bon de le punir si le châtiment peut aider à la réflexion, à la prise de conscience, à l’amendement, s’il permet au criminel de se faire une mémoire.
Marcel CONCHE, Le Fondement de la morale, Paris, PUF, 2003, pp.87-88.
On a le droit de punir seulement celui qui est capable de comprendre qu’il est puni. S’il s’agit d’un criminel invétéré, incapable de raison, enfermé dans sa pensée autistique, pourquoi le punir ? De quel droit, puisqu’on ne peut, par principe, répondre à la question : « à quoi bon » ? Le criminel encore conscient, non absolument endurci, capable de reconnaître que le mal qu’on lui inflige est mérité, doit, admettons-le, être puni ; mais on n’a pas le droit de punir le criminel endurci, c’est-à-dire inconscient. S’il est dangereux, il convient seulement de l’isoler. La conscience populaire ne considère pas le petit et le moyen délinquant comme « fous ». Ils sont punissables. Mais le grand criminel, inconscient et irrécupérable, lui semble être hors des limites de l’humain. « C’est un fou » dit-on. On ne voit pas, en ce cas, de quel droit punir les grands criminels irrécupérables ; mais il faut les isoler soigneusement, comme on fait des fous dangereux. Ils ne doivent pas être isolés dans des prisons, ce qui serait les assimiler à des êtres sensés, punissables, mais plutôt dans des établissements de soin du type des asiles psychiatriques. Le poids de l’universel mépris, du « grand mépris aimant » dont parle Nietzsche, est peut-être l’ultime remède capable de susciter en eux l’éveil de la raison.
Marcel CONCHE, Le Fondement de la morale, Paris, PUF, 2003, pp.87-88.