Liberté et responsabilité
Esprit de l’U.A.A.
Au vu des nombreuses possibilités liées au concept de liberté ainsi que de la présence de ce dernier dans trois U.A.A. du troisième degré, il semble important de bien distinguer de quelle liberté on va parler dans cette séquence. Ou plutôt, de quel aspect de la liberté en lien avec quel autre concept il va être question. A ce titre, je me permettrais de faire remarquer que le programme n’est pas des mieux découpés. En effet, si on s’attache à la compétence travaillée, il apparaît que c’est la notion de responsabilité qui est centrale dans le rapport avec la liberté. Et dans le même temps, les notions à aborder et les pistes proposées supposent une présence non négligeable de la notion de déterminisme. Or, cet aspect me semble pouvoir être travaillé dans les deux autres U.A.A. liberté(s) et culture(s) en instant tantôt sur la notion d’identité, tantôt sur la notion de déterminisme socio-culturel.
Cette précision faite, il me semble plus intéressant de travailler la notion de liberté dans son sens politique en regard des différentes conceptions et acceptions du mot responsabilité. La raison est simple, il s’agit de s’assurer de la construction solide d’une conception qui sera remise en question plus tard dans l’année et dans la scolarité plutôt qu’étouffée dans l’œuf. Ainsi, on pourrait élaborer sa réflexion comme suit : définition de la liberté, premier questionnement lié aux possibilités matérielles d’agir de manière consciente, deuxième questionnement lié à l’influence d’autrui qu’il soit identifiable ou lié à l’imaginaire collectif, troisième questionnement sur cette influence en tant qu’elle est le produit d’un déterminisme socioculturel, quatrième questionnement lié à une approche métaphysique de la liberté et du déterminisme. Selon cette approche, l’U.A.A. ci-présentée se consacrera au premier niveau de questionnement dans le rapport à la liberté et à la responsabilité.
Une autre approche peut également être envisagée en termes de liberté d’expression et de responsabilité. Entendue en ce sens, la notion de liberté sera davantage celle liée à la notion de droit (voir glossaire).
Compétences
Problématiser les concepts de responsabilité et de liberté comme conditions de possibilité de l’engagement individuel et collectif.
Il s’agira de montrer en quoi la liberté et la responsabilité sont intrinsèquement liées au niveau des possibilités d’action des individus mais également sur la représentation et les jugements que nous pouvons avoir au sujet de ces actions.
Glossaire des notions
Séquence : En guise d’accroche
Si le concept de liberté est très certainement le plus facile à aborder des concepts en philosophie, il est également l’un des plus difficiles à traiter. La raison est simple, la liberté est une notion centrale des démocraties libérales et est un enjeu important de la vie adolescente ce qui le rend engageant, mais il est également très piégeux en ce qu’il mène rapidement à deux écueils qui rendent son traitement difficile tant ils semblent valoir en eux-mêmes : « la liberté c’est faire ce que l’on veut » et « comme le dit Spinoza, nous ne sommes pas libres ! »
Pour éviter de ne tomber trop rapidement dans des discussions métaphysiques qui laisseront une partie des élèves de côté et l’autre croire qu’il suffit de prendre un air inspiré pour traiter la liberté, nous partons d’une situation fictive proche de ce que l’on pourrait retrouver dans un roman d’anticipation. A travers cette fiction, il s’agira de traiter le concept de responsabilité qui, à bien y regarder, suppose celui de liberté. Cette accroche, qui est un jeu de rôle basé sur une proposition choc, se présente comme suit :
« 2032, l’annonce d’une nouvelle émission de téléréalité défraie la chronique. En effet, Tip Cut propose à ses candidats de gagner de l’argent en échange de parties de leur corps. Le principe est simple. Une valeur est attribuée (1,2,3,…) à chaque partie du corps. Les candidats, dans un système d’enchères à l’aveugle, proposent de se séparer des parties de leur corps. Une somme de 20 millions d’euros est offerte au candidat qui propose la plus grande valeur et décide de se séparer des ses membres. »
Une fois la situation problématisante installée, les élèves sont invités à dire s’il faut interdire ou autoriser cette émission de télévision, si l’on doit la diffuser ou non et ce, à travers une multiplicité de facteurs qui donneront un éclairage particulier. Ainsi, ce sera en tant que magistrat, membre du CSA ou spectateur qu’il leur sera demandé de réagir. On veillera bien évidemment à modifier les caractéristiques des participants de la fausse téléréalité qui deviendront tour à tour, enfant, handicapé mental, pauvre, etc.
L’idée de cette accroche, au-delà de créer le débat, est de faire varier les situations et, de ce fait, le sens du mot responsabilité qui pourrait être imputé en fonction du rôle de celui qui a le pouvoir d’interdire ou d’autoriser. Mais aussi, la variation doit apparaitre au niveau de l’engagement de la responsabilité des participants. Ainsi, un enfant qui veut participer avec l’accord de ses parents ne convoque pas la même sorte de responsabilité qu’un candidat lambda.
Cette accroche peut être plus ou moins largement exploitée en fonction de l’intention pédagogique. Toutefois, il faudra veiller à ce que la multiplicité des sens du mot responsabilité apparaisse au risque de ne devenir un banal exercice d’exposition d’une analyse morale de la situation. A ce titre, on sera peut-être amené à faire varier la situation initiale en fonction du public et de sa capacité à mettre de la distance. Par expérience, il peut arriver que face au caractère très improbable de l’émission de télé-réalité, une large majorité du groupe-classe annonce que la réponse “non” est évidente pour toutes les questions et rendent l’accroche inefficiente. On peut imaginer des variations chiffrées en fonction des parties du corps (le visage valant 5 fois plus que l’avant-bras par exemple). Tout aussi permanente pour le corps, mais moins spectaculaire, cette situation sera propice à la discussion.
Premier arrêt : le concept de responsabilité
Le concept de responsabilité
La longue introduction ayant permis de mettre en place les éléments nécessaires à la conceptualisation de la responsabilité, on présentera différents aspects tels les composants d’une molécule. Le côté artificiel de cette présentation et du travail de compréhension a pour but d’amener les élèves à bien observer et identifier les particularités des situations en cause et leur impact sur le sens du mot responsabilité. Nous en distinguons cinq (même s’ils sont plus nombreux) à savoir :
Être la cause d’un événement ou d’une chaîne d’événements.
Être conscient et lucide de ce que l’on fait.
Réparer les dommages causés par sa faute.
Reconnaître la liberté d’un choix opéré.
Répondre de ses omissions.
Au détour d’une série d’exercices issus de situations habituelles ou non, on vérifiera la maîtrise de ces différents sens. Des questions d’ordre plus philosophiques pourront alors s’inviter dans la discussion que ce soit à l’occasion de la première forme de responsabilité, ou par rapport à certaines prises de position concernant la responsabilité des individus dans la société.
Doc sup’ : Un éclairage sur le droit belge des notions de conscience et de responsabilité.
Transition : Un cas pratique
Afin montrer un cas concret et médiatique de l’utilisation du terme responsabilité, on abordera une polémique concernant une éditorialiste d’un plateau télé. Cette dernière, après un reportage où une mère isolée explique au président de la République française qu’elle ne parvient pas à s’en sortir, révèle sans pincette sa vision de la responsabilité en commentant la situation et en se demandant si cette personne a bien travaillé à l’école ? et se demandant si il est bien judicieux de divorcer quand on n’a pas les moyens. Outre le caractère choc des propos et l’aspect scolaire de l’application des différents sens du mot responsabilité, ce sera également l’occasion de mettre à l’épreuve les éléments avancées par l’éditorialiste, mais surtout d’introduire le lien qui existe entre la notion de liberté et de responsabilité (en dehors de la formulation “reconnaitre la liberté des choix opérés”) notamment dans la notion de mérite.
Deuxième arrêt : Le concept de liberté
A l’instar de la partie sur la responsabilité, celle sur le concept de liberté se veut ouvertement explicitante. On pourra également repartir de l’accroche pour y interroger les formes de liberté rencontrées ou, comme le propose le dossier, réfléchir à partir du manga Vinland Saga de Makoto Yukimura et de cette fameuse planche où la liberté est définie en négatif par le fait de maîtriser ses désirs (esclave de l’argent), pouvoir aller et faire ce que bon nous semble (esclave acheté par le maître) ou encore devient un manque inhérent à la condition humaine (esclave de quelque chose).
De cette planche, on pourra alors passer à une présentation relativement simple des notions de liberté. Reprenant le texte de Ruwen Ogien, on abordera trois formes de liberté à savoir la liberté politique négative, la liberté politique positive et la liberté métaphysique.
Se basant essentiellement sur la liberté politique (c’est-à-dire la liberté rattachée à la notion de désir et de volonté), l’approche de la liberté présentée ici n’abordera pas ou peu l’aspect métaphysique du libre-arbitre. On s’intéressera donc davantage aux questions qui touchent les capacités matérielles à agir, les cas d’influence et d’emprise ainsi que les questions liées à la limitation de la liberté dans la société… ce qui constitue déjà un vaste programme.
Transition : Cas d’application
A l’instar de la partie sur la responsabilité, celle sur le concept de liberté se veut ouvertement explicitante. On pourra également repartir de l’accroche pour y interroger les formes de liberté rencontrées ou, comme le propose le dossier, réfléchir à partir du manga Vinland Saga de Makoto Yukimura et de cette fameuse planche où la liberté est définie en négatif par le fait de maîtriser ses désirs (esclave de l’argent), pouvoir aller et faire ce que bon nous semble (esclave acheté par le maître) ou encore devient un manque inhérent à la condition humaine (esclave de quelque chose).
En guise de vérification, d’évaluation
Au vu du caractère assez formel des éléments avancés dans la séquence, la vérification de la compréhension pourra se faire dans un exercice d’analyse d’un texte qui, les reprenant sans les citer explicitement, manie les concepts de responsabilité et de liberté tels qu’ils ont été abordés dans la séquence.
On pense au très court et intéressant texte de John Stuart Mill dans son célèbre De la liberté où il pose les bases de son principe de liberté tant qu’il n’y pas de nuisance. Un texte de philosophie abordable, qui permet d’exercer son œil pour y retrouver les traces des notions abordées pendant le cours, mais surtout qui, par sa nature d’extrait, invite à découvrir le livre et plus précisément la délimitation du champ de la non-nuisance.
Doc sup’
Le fait seul de vivre en société impose à chacun une certaine ligne de conduite envers autrui. Cette conduite consiste premièrement, à ne pas nuire aux intérêts d’autrui, ou plutôt à certains de ces intérêts qui, soit par disposition expresse légale, soit par accord tacite, doivent être considérés comme des droits ; deuxièmement, à assumer sa propre part (à fixer selon un principe équitable) de travail et de sacrifices nécessaires pour défendre la société ou ses membres contre les préjudices et les vexations. Mais ce n’est pas là tout ce que la société peut faire. Les actes d’un individu peuvent être nuisibles aux autres, ou ne pas suffisamment prendre en compte leur bien-être, sans pour autant violer aucun de leurs droits constitués. Le coupable peut alors être justement puni par l’opinion, mais non par la loi. Dès que la conduite d’une personne devient préjudiciable aux intérêts d’autrui, la société a le droit de la juger, et la question de savoir si cette intervention favorisera ou non le bien-être général est alors ouverte à la discussion. Mais cette question n’a pas lieu d’être tant que la conduite de quelqu’un n’affecte que ses propres intérêts, ou tant qu’elle n’affecte les autres que s’ils le veulent bien, si tant est que les personnes concernées sont adultes et en possession de toutes leurs facultés. Dans tous les cas, on devrait avoir liberté complète – légale et sociale – d’entreprendre n’importe quelle action et d’en supporter les conséquences.
John Stuart Mill, De la liberté, traduction de l’anglais par Laurence Leget, Paris, Gallimard, 1990 (1859), pp. 176-177.
On peut également lire le très bon texte de Deci et Flaste sur les formes de liberté issu du très instructif Pourquoi faisons-nous ce que nous faisons, Motivation, auto-détermination et autonomie.
Pour conclure
Beaucoup de thèmes et de cas concrets ne sont pas abordés dans cette séquence faute de temps. On pense bien évidemment aux questions liées au déterminisme métaphysique, aux enjeux climatiques, à la question de l’engagement tant militant que politique (qui malheureusement est l’objet de deux U.A.A au deuxième degré alors qu’une répartition sur les 2e et 3e degrés l’instar de celles sur la démocratie aurait permis une véritable progression dans la réflexion). On pense aussi à la question du mérite, de la méritocratie, de l’illusion libertaire de l’auto-entrepreneuriat, de la responsabilité des influenceurs, de celle des émissions de téléréalité, etc. Toutefois, à bien y regarder, ces thématiques sont parfaitement appréhendables depuis cette séquence.
On l’aura compris, l’approche de cette unité d’acquis d’apprentissage a pour ambition de poser les jalons de plusieurs concepts-clés qui seront utilisés pour des réflexions futures comme celles (dans le cadre du cours de philosophie et citoyenneté) de l’État, de la bioéthique, du rapport à la culture, aux convictions et de bien d’autres encore.