La liberté négative

Selon la conception négative, comme je la comprends, nous sommes libres dans la mesure où personne n’intervient concrètement dans nos vies pour nous empêcher de faire ce que nous voulons, ou nous forcer à faire ce que nous ne voulons pas.

Les contraintes qui portent atteintes à notre liberté négative sont purement extérieure : ce sont celles que nous impose la volonté d’autrui.

La liberté négative ignore les contraintes intérieures, celles qui ont pour origine nos désirs incontrôlés ou nos croyances fausses. Même si nous sommes « prisonniers » de nos passions, nous serons, néanmoins, libres au sens négatif, si personne ne nous oblige à les ressentir, et si personne ne nous force à les combattre.

Comme projet politique, la liberté négative consiste à savoir ce qu’on ne veut pas, ce qu’on ne veut plus. Ce n’est pas avoir en tête une idée très précise de ce qu’on aimerait à la place.

Les mouvements d’« indignés », qui surgissent un peu partout dans le monde d’aujourd’hui, montrent assez bien ce que les revendications de liberté négative peuvent signifier au plan politique.

La liberté positive

[…] La liberté positive est une conception philosophique qui s’oppose point par point à l’idée de liberté négative comme je l’ai caractérisée.

D’abord, dans la perspective positive, la liberté politique ne se résume pas à un mouvement purement négatif.

Être libre ne se réduit pas au fait d’échapper à l’intervention concrète des autres dans notre vie. Et se libérer ne signifie pas seulement rejeter ce qu’on ne veut pas ou ce qu’on ne veut plus.

C’est aussi viser le bien : un monde meilleur, une vie plus pleine, etc.

Ensuite, la conception positive n’est pas neutre en ce qui concerne le genre de personne qu’il faudrait être, et le style de vie qu’il conviendrait d’adopter. D’après elle, en effet, être libre c’est être « maître de soi ». C’est agir de façon juste ou rationnelle. C’est œuvrer, entre autres, au bien commun en participant activement à la vie publique.

Pour les amis de la conception positive, la liberté est une vertu qu’il faut impérativement distinguer de la « licence », cette fausse liberté qui nous conduit à suivre aveuglément nos désirs, à faire des choses folles, stupides égoïstes, irrationnelles.

Elle consiste, pour chaque être, individuel ou collectif, à se déterminer de façon autonome par la raison ou la réflexion, et à réaliser ainsi ce qu’il contient en lui de meilleur. En ce sens, c’est une conception « perfectionniste ».

La liberté métaphysique

Ces deux conceptions de la liberté sont politiques et non métaphysiques en ce sens qu’elles disent non pas ce qui est possible ou impossible, nécessaire ou contingent, mais ce qui est désirable ou indésirable du point de vue des genres de vie personnels et de la forme de la société, ou ce qui devrait être obligatoire, permis, ou interdit par la loi.

Elles laissent de côté la question embrouillée de savoir si chacun possède le « libre arbitre » ou le choix d’agir autrement à tout moment sans être déterminé par le passé et les lois de la nature.

Les limites que la nature impose à nos actions, comme celles qui nous interdisent de sauter en longueur à plus de vingt mètres sans tricher, ne comptent évidemment jamais comme des obstacles à la liberté politique, qu’elle soit négative ou positive.

Ruwen OGIEN, L’état nous rend-il meilleur ? Essai sur la liberté politique, Paris, Gallimard, collection folio essais, 2013, morceaux choisis des pages 15 à 20.

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