La grille critériée : où et pourquoi ?

De manière générale, on recourt à une grille critériée dans les productions longues où l’apprenant dispose d’une liberté plus ou moins grande dans l’agencement de l’information qu’il veut/peut/doit fournir. Ainsi, contrairement à la simple présence de critères, la grille critériée modélise en partie le travail demandé tant du point de vue de sa forme que de son fond.

Par exemple, si nous demandons un avis argumenté sur une question de société, nous ne pouvons nous contenter d’indiquer à l’apprenant qu’il sera évalué sur la clarté, la pertinence voire la précision de cet avis en général. Par définition, un avis argumenté est un avis structuré, construit et élaboré qui, espérons-le, ne se contente pas d’exposer la première idée venue ou des banalités dignes des réseaux sociaux. Ainsi, plus que l’indication des critères, de leurs indicateurs et de la pondération de ces critères, la grille critériée se présente comme un terrain neutre où sont annoncées les attentes et les exigences liées à l’exercice ce qui implique également un droit de regard de l’apprenant quant au retour fait sur sa production.

A notre sens, il faut rompre avec une idée fausse qui consiste à voir dans l’explicitation des attendus une sorte de “prémâchage” du travail à fournir par l’élève. Partant du principe qu’une part non-négligeable de la compréhension se fait dans les non-dits, on a tendance à déduire l’idée selon laquelle l’authenticité et la révélation du niveau de compréhension de l’apprenant réside dans sa capacité à comprendre ce que l’on ne lui na pas clairement dit… d’autant plus en philosophie.

Pour être tout à fait précis sur le sens et la fonction que nous donnons à la grille critériée, on peut la considérer comme la feuille de route du minimum demandé à l’apprenant. En conséquence, l’intention pédagogique derrière cette évaluation doit y apparaître, elle doit être claire tant pour le professeur que pour l’apprenant.

L’essence d’une grille critériée

Comme nous le rappelions dans la section Les bases, une évaluation doit être pensée selon un principe de triple concordance. Prenons l’exemple d’un avis argumenté. Si ce dernier est demandé à la suite d’une séquence où de nombreux éléments factuels ont été avancés, on est en droit de porter l’attention de l’élève sur une argumentation où doivent apparaître des éléments factuels. En ce sens, l’évaluation portera bel et bien sur un avis argumenté le caractère factuel de l’argumentation aura une place prépondérante. Autre exemple, si nous demandons un début de problématisation à partir de concepts vis-à-vis desquels un travail de distinction a été fait en classe (par exemple la différence entre la licence et la liberté politique positive), nous sommes en droit d’attendre un niveau de précision qui ne suppose pas de confusion entre les termes vus (pour notre exemple, entre licence et liberté positive). En somme, le choix des critères (quelle modalité de critère choisir), leur agencement (parmi plusieurs modalités, quelle place accordons-nous à chacune au sein de la production évalué) et leur spécificité interne ne peuvent être identiques pour toutes les productions écrites, fussent-elles de même nature (avis argumenté, problématisation, etc.).

En ce sens, il nous semble devoir opposer à la rigidité d’un canevas pré-établi, la précision d’une modularité des critères dans la construction d’une grille critériée. C’est pour cette raison que nous insistions dans notre article sur les critères d’évaluation sur la nécessité de les penser en amont.

La construction à proprement parler

Selon une construction graphique classique, nous proposons à nos élèves une grille en trois colonnes où sont distinctement énoncés : le critère, les indicateurs et la pondération.

Le choix des critères, nous l’avons dit en filigrane, dépendra de trois pôles :

  1. L’intention pédagogique : que cherchons-nous à faire ?
  2. Le travail effectué en amont : que pouvons-nous considéré comme acquis ?
  3. La nature de l’évaluation : quelles sont les limites de cette forme d’évaluation ?

Une fois la sélection des critères faite, nous pouvons nous intéresser à leur zone d’application. Cette dernière, liée aux indicateurs, entend déterminer le degré de globalité des indicateurs utilisés. Comme nous le verrons sur notre schéma, le degré de globalité apparaît dans la structure graphique de la construction de la grille. Véritable écho aux indicateurs, la construction graphique de la grille entend indiquer le mode d’observation qui sera transformé en jugement critique.

D’un point de vue graphique, la grille présentera les critères de différentes manières en fonction de leur usage au sein de l’évaluation. En voici un schéma abstrait :

Critère 1 : La présentation de ce critère portera sur l’entièreté de la production. Plutôt dévolue aux critères transversaux, cette présentation reflète l’observation de l’aspect général de la production.

Critère 2 : La présentation de ce critère indique une différence de nature (au sein du même critère) entre les indicateurs. De ce fait, le critère propose plusieurs modalités d’observation suffisamment étrangères les aux autres tout en appartenant au même critère.

Par exemple : on peut utiliser un critère de précision qui porte tantôt sur la présence de certaines notions qui doivent apparaitre (adéquation). Il peut également porter sur la nécessité d’une clarification à chaque fois qu’un terme technique apparait. Dans les deux cas, on retrouve une exigence de précision mais dont l’observation peut varier en fonction du travail.

Critère 3 : Ici, le critère est singulièrement le même pour chaque partie du travail. La séparation graphique tend ici à cibler la pondération. Ce type de construction peut être utile dans les avis argumentés où un nombre d’arguments est demandé. Il permet alors de révéler, quand il y en a, les différences d’intensité ou de réussites des différents arguments. Au lieu d’une note globale, cette présentation permet de voir quand un argument est très réussi face à un qui le serait moins.

Critère 4 : Portant davantage sur des critères non-binaires, la présentation de ce type de critères suppose une forme de graduation du geste observé. Un peu à l’instar de la complétude (mais dans un champ qui n’est pas celui de l’adéquation), on suppose une partition en étapes du critère dont la non-maîtrise des premières ne peut supposer la maîtrise des suivantes. Le caractère rédhibitoire ici nous sert à souligner l’exigence liée aux parties directement visibles sans pour autant nuire à la qualité du reste de la production. Ainsi, malgré l’absence maîtrise du critère dans son ensemble, nous pouvons souligner les aspects positifs repérés dans la suite de la production. Principalement lié à la pondération, ce type de formulation peut être utilisé pour souligner l’impératif de bien se relire (réflexivité).

Par exemple : nous l’utilisons le plus souvent pour communiquer sur la cohérence des propos tenus. Séparant en trois parties : absence de contradiction explicite / Absence de contradiction implicite dans la formulation du travail / Absence de contradiction en regard de légers développements non opérés par l’apprenant dans son travail, nous insistons par là sur l’obligation de se relire afin de ne pas laisser de contradiction apparente.

Précision sur la pondération

Il va sans dire que la grille ici proposée ne permet pas de faire l’économie d’un retour précis, oral ou écrit, sur la production des élèves. En ce sens, la pondération n’est pas une donnée nécessaire pour des exercices non-certificatifs. D’un autre côté, il est important de garder à l’esprit que la pondération peut également faire l’objet de modulations qui, de ce fait, communiquent sur la nature de l’évaluation. Garante de la visibilité de l’importance conférée aux différentes dimensions du travail, la pondération indique ce qui sera le “plus” observé, ou observé avec le plus d’intensité. En ce sens, on peut imaginer un changement de pondération au fur et à mesure de l’évolution de l’élève. Nous considérons et appliquons qu’au plus l’élève avance dans son cursus, au plus la valeur des critères du troisième champ (voir schéma de rappel en fin d’article) sera élevée.

En guise d’exemple concret, bien que perfectible, cette grille nous semble pour l’instant assez satisfaisante. Il s’agit de la grille d’évaluation fournie aux élèves de dernière année pour leur travail de problématisation qui est à faire en marge du cours.

En guise de conclusion

Tout au long de cet article, nous avons tenté de montrer comment on peut donner suffisamment d’informations sur la manière avec laquelle le travail sera observé et évalué sans pour autant faire le travail à la place de l’élève. Contrairement à une idée reçue, le caractère précis et construit d’une grille critériée, loin de rendre la tâche plus facile à l’élève, le mobilise ainsi que son professeur sur un terrain commun où ils pourront discuter.

En somme, en proposant une grille d’évaluation claire et explicite, nous nous engageons ainsi que nos élèves dans un temps long où, grilles après grilles, modulations après modulations, nous pouvons proposer une véritable dynamique d’apprentissage basée sur la discussion à la place de proposer une succession de “performances” sans véritables liens entre elles.


Rappel (les bases évaluer)

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