On peut considérer un critère d’évaluation comme étant une perspective sur la production de l’élève. Le critère c’est une observation depuis un point de vue, depuis un certain angle. Entendu en ce sens, le critère d’évaluation est alors par définition restreint, il ne peut embrasser la totalité de l’œuvre ou de la production de l’apprenant. De ce fait, il est limité et limitant. Cette précision est d’une importance capitale à plus d’un titre car elle implique une rupture avec l’idée d’une approche totalisante des créations et des œuvres qui capteraient tout en même temps.
Ainsi, le critère est une balise d’observation qui permet de cartographier une production et d’en saisir les aspects discontinus. Le corollaire à cette approche implique une reconstruction de l’unicité du travail de l’élève dans la grille d’évaluation. En tant que somme de critères, d’indicateurs et de pondération, la grille d’évaluation a donc valeur de recomposition des parties du travail, ou plutôt des faces qui se sont données à voir. Un peu à la manière qu’a l’œil de voir un cube, seules quelques faces sont visibles en même temps et le cube ne peut être observé qu’au moyen d’une reconstruction mentale.
Cette dernière remarque en apparence anodine doit nous alerter sur les limites et les présupposés d’une approche par critère. Comme le rappellent Anne Herla et Aurore Compère dans leur article Évaluer en philosophie comme un critique d’art ? l’approche par critères limite et rend aveugle à des qualités inattendues qui surgissent hors du cadre. Aussi, partageant ce constat, nous devons amener une précision concernant l’approche par critère des évaluations en milieu scolaire, précision qui est liée à notre représentation de la finalité des évaluations du cours.
Nous assumons parfaitement, dans cet article comme ailleurs, le caractère téléologique de notre approche du cours et donc des étapes qui le composent à savoir les évaluations. Partant du principe que ce cours est un moyen de confronter l’élève à la rigueur d’un lecteur exigeant et sans concession (ce qui ne l’empêche pas d’être bienveillant), l’usage de critères vise, pour nous, un repérage et une amélioration des éléments qui constituent la restitution de la pensée de l’apprenant. Cette approche téléologique s’aperçoit particulièrement dans les productions du troisième champ (basées sur des impératifs de fertilité et de cohérence) où l’élève, pris comme un égal, est appelé à discuter avec un interlocuteur ouvert mais exigeant (un peu comme Socrate).

Cette précision faite, il nous reste à préciser les différents critères qui nous semblent intervenir dans cette approche de la philosophie, comment les formuler et comment en formuler les indicateurs.
Définition large de chaque critère
Catégorie de l’adéquation (correspondance stricte)
Adéquation : désigne la correspondance stricte entre une réponse attendue et une réponse donnée. C’est le degré de correspondance le plus proche.
Complétude : désigne le caractère adéquat de la réponse en regard de la présence totale ou partielle d’éléments attendus. La complétude d’une réponse se mesure généralement du point de vue de la quantité des éléments déterminés à l’occasion du cours ou de la ressource à disposition. Ce critère peut faire l’objet de variations dans la correction (plus ou moins d’éléments donnés), mais la correction se base sur le mode binaire du présent ou de l’absent. La complétude ne doit pas être confondue avec la profondeur.
Précision : désigne le caractère adéquat de la réponse en regard de la qualité des éléments donnés. Cette qualité d’adéquation se mesure en regard d’autres éléments adéquats mais dont le degré d’adéquation semble correspondre un peu moins. Ce critère se mesure généralement du point de vue de la qualité des réponses. Le recours au critère de précision dans le champ de la correspondance stricte implique une correction binaire basée sur la présence ou non de cette qualité de réponse.
Cette catégorie suppose un rapport binaire à l’évaluation des réponses. On peut considérer que ces critères n’interagissent pas entre eux en ce qu’ils sont chacun une approche particulière de l’adéquation. Voici comment nous les utilisons : l’adéquation suppose plusieurs réponses adéquates mais clairement identifiables; la complétude suppose un attendu d’un certains nombres d’éléments adéquats; la précision suppose une réponse unique identifiable comme étant la meilleure.
Catégorie de la pertinence (Indices de correspondance)
Pertinence : désigne le caractère adéquat d’une réponse à un cadre dont les limites sont partiellement visibles et sont déductibles par l’apprenant. Le cadre dont il est question conditionne la réponse attendue sans pour autant qu’elle soit parfaitement figée. Une réponse pertinente est donc une réponse qui s’inscrit adéquatement dans le cadre sans pour autant qu’elle ait été déterminée et annoncée telle quelle lors de la séance de cours.
Précision : désigne le caractère adéquat des termes et des notions utilisés à l’exclusion de ceux proches mais différents. La précision dans cette catégorie correspond donc au caractère conscient de l’usage des termes vis-à-vis de l’existence d’autres qui leur sont proches. En fonction du cadre, le degré de précision pourra prendre en compte une exclusion des mots et des sens du langage courant voire d’autres notions censées être connues, pertinentes, mais moins adéquates.
Profondeur : désigne le caractère abouti d’une réponse qui a pour entreprise la mise en lumière d’éléments et de liens implicites ou cachés. Comparable à la complétude tout en y intégrant des aspects qualitatifs, la profondeur indique une maîtrise par une explicitation qui montre l’absence de hasard dans la réponse. Les degrés de profondeurs peuvent varier selon deux axes. Le premier, horizontal, s’apparente à une complétude de la réponse qui se base sur des éléments pertinents (donc non-nécessairement indiqués). Le second, vertical, s’apparente à une mise en lumière des conséquences ou des causalités (selon le cadre) des éléments de réponse.
Cette catégorie suppose un rapport entre les critères en termes de complémentarité. La multiplication de ces derniers a donc pour but d’embrasser l’ensemble de la production. Voici comment nous les utilisons : la pertinence permet de voir et de communiquer sur le caractère hors-sujet ou trop éloigné de la réponse par rapport au cadre de réflexion. La précision indique une certaine maîtrise technique de l’usage de la langue en tant qu’elle a été l’objet d’un travail en classe de cpc comme ailleurs. La profondeur indique le caractère développé de la réponse tout en ne se limitant pas à la présence d’éléments issus du cours ou des documents (adéquation-complétude). La profondeur suppose donc une faculté d’explicitation des éléments cachés ou à déduire.
Catégorie de la cohérence (Correspondance dans la construction)
Cohérence : désigne le caractère non-contradictoire d’un ensemble d’idées en tant qu’elles sont invoquées dans le cadre d’une pensée complexe. Cette absence de contradiction s’appréhende selon plusieurs degrés qui correspondent à un spectre partant de l’explicite pour aller jusqu’aux liens possibles dans des systèmes qui embrassent le réel dans son ensemble (comme c’est le cas des philosophes dits de système comme Hegel). Ainsi, si la cohérence explicite peut s’observer facilement, l’évaluation du degré de cohérence des éléments implicites (observables dans les déductions de ces idées) suppose un choix arbitraire du professeur et/ou du cadre.
Fertilité : (oralité dans les exercices collectifs) : désigne le caractère utile de l’intervention à l’avancement de la réflexion et de la discussion. Même s’il s’est avéré que la proposition a mené à une impasse, le chemin parcouru pour découvrir cette impasse peut être considéré comme une avancée pour le groupe. (A l’écrit de manière solitaire) : désigne la propension à ouvrir de nouvelles pistes de réflexion en fonction de l’état initiale de celle-ci ou du cadre en cours de construction. La fertilité est cette caractéristique des idées que l’on ne peut pas contre-dire ou évacuer d’un revers de la main et dont le traitement (quelle que soit la finalité) apporte une forme de progression dans la réflexion.
Originalité : désigne le caractère nouveau et jamais advenu d’une idée d’une réflexion. S’opposant à la répétition et à la restitution, l’originalité suppose un arrière-plan qui la conditionne. En fonction de cet arrière plan, le caractère original ou non de la réponse sera retenu.
Cette catégorie suppose un rapport aux critères en termes de “contrôle réflexif”. Basés sur une création originelle (propre à l’apprenant) qui sera proposé à un regard étranger, les critères propres à ce champ supposent un regard qui a pris de la distance. Ils portent généralement sur l’ensemble de la production (contrairement aux deux premiers champs). Voici comment nous les utilisons : la cohérence est évaluée selon trois degrés de maîtrise (cohérence explicite / cohérence implicite / manifestation des potentielles contradictions et anticipation de ces dernières). La fertilité est évaluée selon deux aspects. La première part du principe que l’apprenant est censé connaître certaines impasses et ne pas les utiliser comme des pistes prometteuses ; la seconde correspond au regard du lecteur et à sa faculté à être interpellé par le propos sans qu’il s’agisse d’effets de manche et d’éléments rhétoriques. Nous n’évaluons jamais l’originalité car nous la considérons inévaluable.
Catégorie transversale
Clarté : désigne la fluidité de lecture de n’importe quel correcteur / commentateur. La clarté d’une réponse suppose l’absence d’efforts de compréhension simple en dehors de termes techniques. Ce critère porte généralement sur la syntaxe.
Intelligibilité : désigne le caractère compréhensible de l’agencement des idées d’une réponse. L’intelligibilité porte donc majoritairement sur le sens des mots employés et la propension que leur agencement a à transmettre des idées complexes de manière adéquate à n’importe quel interlocuteur.
Exemples de formulations d’indicateurs généraux pour rendre la théorie plus concrète
Clarté : Les phrases respectent la syntaxe. La lecture des réponses est fluide et ne nécessite pas de s’y prendre à plusieurs reprises pour en avoir une compréhension générale des phrases.
Complétude : La réponse présente les x éléments vus en classe / dans le document.
Pertinence : Les réponses sont adéquatement liées aux particularités des éléments de la thématique et aux liaisons entre ces thématiques. Si elles en semblent éloignées, elles font l’objet d’un explication qui ne laisse aucun doute.
Précision : Les éléments essentiels aux notions utilisés (et détaillées dans le cours) sont mis en avant. Le choix du vocabulaire utilisé montre la maîtrise de celui-ci. L’élève ne recourt pas à un ensemble de notions trop vagues ou indéterminées pour appuyer son propos. Les réponses ne présentent aucune ambiguïté.
Profondeur : Les explicitations et les justifications mettent en lumière des liens non évidents ou non explicites. Les propos de l’élève amènent une meilleure compréhension de la réflexion car ils révèlent ce qui était caché ou nécessitait plusieurs étapes pour être révélé.
Cohérence : Le travail ne contient aucune contradiction explicite. Le travail ne contient aucune contradiction implicite (liée au développement des idées avancées). Le travail montre une conscience des contradictions et autres fausses évidences possibles et liées à la réflexion.
Fertilité (en fonction du type de production) :
Évaluation basée sur l’oralité : La fertilité est la marque d’une remarque qui a permis à la discussion d’avancer. Même s’il s’est avéré que la proposition a mené à une impasse, le chemin parcouru pour découvrir cette impasse peut être considéré comme une avancée pour le groupe.
Évaluation basée sur une problématisation : Résoudre les difficultés ou contrer les affirmations centrales du travail n’est pas évident pour le lecteur et lui demande un travail de réflexion.
En guise de conclusion
Dans et article, nous avons tenté de définir la nature des critères principalement utilisés en CPC, le plus souvent à l’écrit. Si cette étape semble nécessaire, il faut garder à l’esprit qu’une différence de degré peut apparaître entre ces critères d’une évaluation à l’autre, d’un travail à l’autre. Toutefois, cette différence n’enlève en rien l’impératif de penser ses critères et, ainsi, les indicateurs qui permettront à l’élève de les observer lui-même. Plus qu’une obligation scolaire trop souvent vue comme un moyen de contrôle sur la production des élèves, il nous semble au contraire qu’une grille d’évaluation critériée et annoncée en amont assure un terrain de neutralité sur lequel tant l’enseignant que l’apprenant peuvent échanger sur leur représentation du travail.
A ce jour, il nous semble que des critères clairs et explicites restent la meilleure manière d’éviter les replis du professeur et de l’élève dans leurs zones de confort où personne ne grandit jamais vraiment.