Éthique et technique
Esprit de l’U.A.A.
Cette U.A.A. peut être abordée selon trois grandes directions qui, si elles ne sont pas opposées, ont des différences significatives. Quoiqu’il en soit, toutes ont en leur sein une dimension éthique qui, par sa définition même, suppose une réflexion sur “l’action juste à réaliser” face aux problématiques et aux enjeux soulevés.
Au regard du programme, la mention des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication semble imposer un traitement des réseaux sociaux et des conséquences pour les individus à la sur-connexion. Ainsi, sans se résumer à un guide des bonnes pratiques, elle peut faire l’objet d’un travail de conscientisation et de réflexion autour des réseaux sociaux et de notre utilisation.
La deuxième approche embrasse en partie la réflexion sur les réseaux sociaux pour la pousser plus loin et interroger l’influence de ces nouvelles technologies dans nos relations sociales et la manière qu’elles ont de façonner notre manière d’être et de communiquer. Cette approche peut se voir comme étant davantage portée sur la dimension politique de notre rapport aux technologies.
Enfin, la troisième approche tend à s’écarter des N.T.I.C. pour embrasser la notion de technique dans un sens plus large. Plus proche dès lors de réflexions en lien avec la bioéthique, cette troisième approche mettra davantage l’accent sur la dimension éthique entendue au sens d’un comportement individuel ou collectif qui serait le meilleur à adopter vis-à-vis de ces technologies.
Compétences
Expliciter l’impact des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication sur nos libertés et nos responsabilités.
Il s’agira essentiellement de montrer en quoi l’apparition du smartphone et des réseaux sociaux sont à l’origine d’une tendance à la transparence et interroger le caractère inquiétant ou non de cette transparence volontaire.
Justifier un comportement responsable par rapport aux N.T.I.C.
Il s’agira sur la base des différents éléments problématiques révélés par la réflexion sur la transparence d’envisager des manières d’utiliser ses technologies qui dépassent la simple injonction à “ne plus rien utiliser” (ou alors d’envisager la possibilité de ne plus les utiliser).
Glossaire des notions
Séquence : En guise d’accroche
Parler des réseaux sociaux et des smartphones avec des adolescents est une chose assez facile tant ces technologies font partie de leur quotidien. Toutefois, il ne suffit pas de parler des réseaux sociaux pour en tirer une réflexion fertile à dimension philosophique. On évitera donc une approche moralisatrice de ces outils car, à bien y regarder, les digital natives ne sont pas les seuls à les utiliser de manière intensive, c’est même devenu un réflexe de société que de sortir son téléphone quand on a du temps. D’un autre côté, passer outre les problèmes liés à ses utilisations intensives, c’est risquer de ne banaliser les effets pervers de ces “miroirs noires”. Un juste milieu doit être trouvé.
On peut dès lors commencer par un petit tour de la consommation numérique de la classe afin d’en faire la moyenne. Sans forcer personne et en gardant en tête que les interrogés ont tendance à minimiser leur pratique, on pourra demander sur combien de réseaux sociaux chacun est inscrit, le temps qu’il passe sur son téléphone ou ordinateur lors d’une journée d’école, la même chose pour le week-end. On peut demander également leur réseau social préféré et la raison de cette préférence. Enfin on peut demander s’ils dorment avec ou si leurs parents sont également sur leur téléphone souvent. Le but de cette cueillette – dont la durée et le traitement n’excéderont pas une heure de cours – est à la fois de parler ouvertement de la consommation de chacun (sans jugement) tout en offrant la possibilité aux uns et aux autres de l’évaluer par rapport à leurs pairs…
Une fois cette phase passée, ce sera l’occasion de discuter avec eux de ce que l’on considère comme “normal” ou non, de savoir comment évaluer ce qu’est “beaucoup de temps” ou non. C’est la fameuse question des critères. Mais plutôt que d’y répondre, on les invitera à se renseigner via des documents fournis (vidéos youtube qu’on peut indiquer à l’aide de QR codes). Ce sera alors l’occasion de souligner la particularité de notre approche philosophique : montrer que les réseaux sociaux impliquent une transparence qu’on ne serait pas sûr d’accepter dans “la vraie vie” et, en même temps, questionner cette idée qu’internet ne serait pas la vraie vie.
Premier arrêt : Place au droit à l’image
Véritable pierre d’achoppement de cette thématique, le droit à l’image est généralement très mal connu des élèves. Cet état de fait n’est pas l’apanage de la jeunesse de notre pays, mais leur utilisation de réseaux sociaux orientés sur l’image – les réseaux sociaux les plus utilisés par la jeunesse de 2021 sont Instagram et Tik Tok – rend cette thématique particulièrement parlante et concrète pour eux.
Pour commencer, on peut simplement proposer un exercice d’application de ce qu’ils pensent être le droit à l’image. On proposera plusieurs situations en veillant bien à ce qu’ils justifient leurs réponses. C’est un bon moyen de voir qui dans le groupe s’est informé – s’il y en a -, mais surtout de repérer les idées complètement erronées qui peuvent subsister concernant ce droit. De cet échange, après correction, il serait utile de veiller à proposer une première discussion sur la méconnaissance générale de ce droit non seulement chez les jeunes, mais également pour une grande partie de la population. Immanquablement, la non-lecture des conditions d’utilisation ainsi que “l’absence” de réactions des plateformes ou l’inefficacité de la justice concernant le respect de ces droits apparaîtront. Ce peut-être l’occasion d’un petit détour par Pascal et sa fameuse citation : La justice sans la force est impuissante, la force sans la justice est tyrannique.
Il me semble important, après ce moment de réflexion, de présenter sans concession, mais de manière résumée, le droit à l’image et ses grands principes. Ces connaissances doivent, à mon humble avis, faire partie de l’éducation de tout citoyen qui se respecte. Toutefois, selon une visée qui dépasse la simple exposition juridique, il sera intéressant d’aborder à l’occasion de cette exposition des particularités qui en disent long sur la représentation qu’a notre société de la responsabilité, de la maturité ou du temps que dure ce droit après notre mort. On peut alors, une fois la règle (double consentement) et les exceptions exposées, attirer également sur un autre droit tout aussi fondamental dans nos sociétés de l’enregistrement… le droit à l’oubli.
Transition : Du droit à l’image aux places de la caméra
Si la connaissance du droit à l’image est un enjeu majeur d’une éducation politique dans une société de surveillance ultra-connectée, elle n’est pas suffisante pour en révéler tous les enjeux. On pourrait imaginer une présentation classique des sociétés de contrôle dans un panorama des dangers liés aux possibilités techniques induits par les smartphones et autres caméras dotées d’IA. Une telle approche risquerait néanmoins de nous faire passer à côté d’une subtilité dans la réflexion à savoir la distinction entre être filmé et de filmer. Car après tout, si je n’aime pas être filmé par une caméra, il me semble pourtant moins pénible de filmer tout ce qui m’entoure en permanence.
Pour rendre cette apparente contradiction tangible et, ainsi, proposer une transition qui fait sens et soit engageante, on peut amener les élèves à se positionner sur différents lieux où apparaîtraient la caméra. Soit : dans les rues du pays, dans les couloirs de l’école, dans les classes. (Pour certains lieux elles y sont déjà).
L’intérêt d’une telle proposition est d’amener les élèves à se positionner sur les raisons de leur acceptation ou non de voir des caméras fleurir dans certains endroits et non d’autres. L’idée ici n’est pas de proposer un débat sur “pour ou contre les caméras”, mais de voir quelles sont les différences fondamentales, le “qu’est-ce qui change” entre la rue, le couloir et la classe. Car ces différences, nous permettrons de baliser la réflexion sur les sociétés de surveillance et de transparence.
Deuxième arrêt : Sociétés de surveillance et sociétés de transparence
Après le droit à l’image, la place des sociétés de contrôle est la deuxième pierre angulaire de la séquence sur l’impact des NTIC sur nos libertés et responsabilités. Si le début de réflexion sur le droit ouvre potentiellement à une réflexion de nature philosophique sur l’esprit de la loi (que l’on peut aborder au troisième degré heure optionnelle), parler des sociétés de contrôle implique un rapport direct à ce type de réflexion.
Toujours dans une visée non-moralisatrice, on n’abordera pas directement les éléments théoriques. La raison est encore une fois le souci d’un “faire sens” pour l’élève qui passe non pas par une confrontation avec des enjeux colossaux qui seront vite oubliés une fois le cours terminé, mais par une progression graduelle dans la réflexion. Progression qui amènera son lot de réflexions annexes sur la différence entre le réel et le virtuel, le contrôle et la transparence pour finir par une réflexion toute simple sur une phrase lourde de conséquence : “Si tu n’as rien à te reprocher, alors tu n’as rien à cacher”.
Pour introduire la réflexion, on peut recourir à un auteur de dystopie qui a fui l’URSS et en fait une critique acerbe dans son très beau Nous. Dans un très court extrait, le héros de Zamiatine nous décrit les maisons de sa ville dont les murs sont transparents. Seule une autorisation permet de baisser les stores pour une heure d’intimité. Mais, le plus étrange dans cette histoire, c’est que le narrateur ne comprend pas qu’on ait vécu dans des maisons opaques… On sent déjà ici tout le potentiel de réflexion sur l’intimité et le lien qui pourra être fait avec notre pratique d’internet et des réseaux sociaux. On pourra d’ailleurs poursuivre la réflexion à l’aide du philosophe Byung-Chul Han qui, dans son très intéressant Dans la nuée, interroge ce monde numérique ouvrant une voie royale aux sociétés de contrôle pleinement accomplies… les sociétés de transparence.
L’intérêt de convoquer Byung-Chul Han réside dans la séparation qu’il fait entre Big Brother et Big Data. Très beau prétexte à une présentation du concept orwellien et, par extension, à celui de panoptique de Bentham, la distinction entre Big Brother et Big Data permet de montrer la subtile différence entre une représentation intrusive du contrôle extérieur et une forme beaucoup plus sournoise d’influence qu’il exprime dans cet extrait : La société de contrôle est accomplie lorsque ses membres se confient non plus sous l’effet d’une contrainte extérieure mais sous l’impulsion d’un besoin personnel, lorsque la peur de dévoiler sa sphère privée et intime est remplacée par le besoin impudique de l’exposer au grand jour.
Pourquoi cette différence est-elle si importante ? Car elle dévoile toute la complexité des enjeux liés aux NTIC, aux libertés et aux responsabilités qui les accompagnent. Mais surtout elle permet de donner du volume à une thématique, il faut le dire, souvent abordée sous le signe de l’évidence alors que, dans les faits, les élèves comme de nombreux adultes ne lisent pas les conditions d’utilisation. Une thématique souvent traitée en oubliant que le confort et la rapidité deviennent une variable d’ajustement supplémentaire dans le couple liberté-sécurité et qu’une nouvelle manière d’envisager l’intimité, ou du moins le déplacement de ce qui “tombe” sous le coup de la pudeur ou non, se sont imposés bousculant la représentation de ce qui et avec qui est “partageable”. Bref, sans minorer les problèmes liés à la pratique régulière des réseaux sociaux et des nouvelles technologies, c’est tout un champ de recherche et de réflexion qui s’offre aux élèves à partir de cette U.A.A.
Raison pour laquelle elle me semble centrale dans le cours car elle ouvre la voie à tant d’autres.