Le problème posé de la Cyropédie est d’une grande simplicité : quelles sont les conditions qui permettent de susciter une obéissance à la fois volontaire et durable ?
La question, fondamentale pour la politique, est délicate, car toutes les réponses les plus évidentes semblent échouer. Ni la force, ni la peur, ni la loi, nous dit Xénophon, ne peuvent suffire à cette tâche. L’obéissance par la force n’est pas volontaire, et elle n’est pas non plus durable, car, dans le monde humain en tout cas, aucune force ne l’est. L’obéissance par la peur est sans doute plus efficace, mais difficile à utiliser : le « pas assez » entraîne la contestation de ceux qui n’ont pas grand-chose à craindre ; le « trop » produit la résistance acharnée de ceux qui n’ont plus rien à perdre. Excellent instrument de gouvernement, la peur ne suffit donc pas à s’assurer le développement durable du pouvoir. Quant à l’obéissance à la loi, c’est une belle solution, mais dont l’inconvénient est de supposer résolu le problème posé ; car, pour obéir volontairement à la loi, il faut déjà… le vouloir. Et pour le vouloir, il faut être soumis à la force, soit craindre de l’être : ce qui renvoie aux deux cas de figure précédents. Ou alors il faut des sujets vertueux – ce sur quoi un chef prudent ne peut guère compter –, ou encore qu’ils soient entraînés par l’habitude ou le conformisme, ce qui, à nouveau, renvoie au problème du commencement : comment susciter cette habitude ? Bref, la question de l’origine de l’obéissance volontaire reste insoluble !
C’est cette énigme qui amène Xénophon à rédiger le portrait de Cyrus le Grand. Car la thèse qu’il va défendre est que seule une personnalité extraordinaire peut susciter cette adhésion volontaire susceptible de créer de l’autorité.
Pierre-Henri TAVOILLOT, Comment gouverner un peuple-roi ? Traité nouveau d’art politique, Paris, Odile Jacob, 2019, pp. 334-335.