La genèse de l’État semble obéir à une double logique. La première se signale par l’institution d’un pouvoir souverain reconnu comme seul détenteur de la force publique qu’il oppose à la violence individuelle et collective. Le pouvoir doit persuader les individus que leur désir de parvenir à leurs fins par la violence et la ruse est voué à l’échec, puisque ces moyens imaginés pour prévenir les menaces d’autrui seraient précisément ceux qui lui donneraient prétexte à les renforcer. Et de ce point de vue la logique rejoint l’histoire car l’État est bien né en Europe, et plus particulièrement en France à la fin du Moyen Age, de la volonté du pouvoir central de combattre les libertés féodales préjudiciables à l’ordre public. Pourtant si l’ordre est bien à l’origine de l’État, il ne saurait en constituer le fondement. L’ordre est un objectif nécessaire mais non pas une fin en soi, puisqu’en maintenant l’ordre, on ne fait pas disparaître les conflits, on se contente d’en différer les effets sans en pénétrer les causes. Aussi le pouvoir obéit-il à une toute autre logique lorsqu’il se transforme en État. En créant des institutions chargées de servir la collectivité dans son ensemble, il ne se contente pas de maintenir l’ordre, il se donne pour fin de désamorcer les conflits en représentant aux hommes que ce qui les rapproche est plus important que ce qui les divise : un territoire commun en lieu et place des particularismes locaux, une monnaie unique qui facilite les échanges, une Justice fondée sur l’égalité des droits, et bientôt, avec l’avènement de la République, une histoire et une éducation communes qui contribueront à transformer de simples sujets en citoyen à part entière.

Alain LAGARDE, L’État le pouvoir la violence la société, Paris, Editions Ellipses Marketing, 2018, p. 11.

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