Souvent abordée de manière caricaturale, la question de l’art et de la valeur des œuvres ne peut s’empêcher d’être pris dans le prisme de la vente aux enchères et des sommes astronomiques. Bien qu’il ne s’y réduise pas, il ne faudrait pour autant pas être dupe quant au fait qu’il y a un marché de l’art, que ce marché n’est pas uniquement soutenu par des jeux d’investissements et de spéculation, mais est également le lieu de valeurs créées sans trop que l’on sache en identifier les causes… C’est d’ailleurs une critique récurrente d’une certaine tranche de la population qui a beau jeu de critiquer l’argent publique dépensé dans des œuvres hors de prix sans jamais proposer une manière d’évaluer “objectivement” la valeur d’une œuvre.
Discuter de l’art, de ce qu’est une œuvre d’art, de la fonction de l’art et de tant d’autres questions, c’est donc risquer d’évoquer des banalités, d’être sentencieux sans avoir les connaissances ou les compétences, ou à l’inverse de ne considérer comme acquise ou devant l’être, des postures qui relèvent plus de politiques culturelles que d’évidences esthétiques (à ce titre l’ouvrage de Geoffroy de Lagasnerie “L’art impossible” est édifiant).
Afin d’aborder de manière pertinente cette thématique compliquée, nous vous proposons un petit dispositif pour faire émerger le questionnement et poser les bases d’une réflexion libérée des postures castratrices et caricaturales.
La fausse vente aux enchères (idéal pour des groupes allant jusqu’à 12-13, à faire en binôme si on a plus d’élèves)
Pour ce dispositif vous aurez besoin :
– D’imprimer les 10 œuvres d’art connues les plus chères du monde (cf dossier en bas de page).
– De prévoir 10 petits morceaux de papier par élève où chaque élève / binôme inscrira sur une face leur nom afin qu’il soit reconnaissable.. (Post-it, carrés découpés, on veillera à ne pas donner l”impression d’une feuille de brouillon déchirée)
Déroulement
On disposera sur les tables de la classe (ou sur les murs, présentoirs, etc.) les 10 œuvres d’art. L’idée est de former quelque chose qui s’apparente à une galerie d’art où les élèves pourront se déplacer et observer les œuvres.Les élèves seront munis de leur 10 papiers et d’une “somme” de 36 points qu’ils gardent en tête.
On donnera la consigne suivante :
– Vous êtes dans une galerie où se trouvent 10 œuvres d’art.
– A l’aide de vos papiers de vos points, vous pourrez acquérir ces œuvres selon un système d’enchères. Secrètement, quand une œuvre vous intéresse, vous indiquerez sur la face vierge de votre feuille un nombre de points.
– Vous poserez ensuite cette feuille face “valeur” cachée de manière à ce qu’on ne puisse pas voir le montant de points investi.
– La somme des points de vos enchères ne peut dépasser 36.
– Il est interdit de regarder la valeur des enchères des autres personnes.
– On n’est pas obligé d’enchérir sur toutes les œuvres.
– Une fois que tout le monde aura enchéri, nous révélerons les enchères et attribueront les tableaux aux personnes qui les ont remportés.
On peut prévoir une petite dizaine de minutes à un petit quart d’heure pour les enchères.
Résolution et intention pédagogique
Après la phase d’attribution, les élèves seront disposés de manière à pouvoir échanger en grand groupe et à permettre la discussion. En fonction du succès ou non de certaines œuvres, des variations de sommes dépensées, la parole sera donnée pour mettre en lumière et aborder de manière réflexive le dispositif. Par une approche réflexive, nous entendons un moment où l’accent sera mis sur l’analyse des actes et des motivations qui n’ont pas spécialement fait l’objet d’une explicitation. Par exemple, demander à un élève qui a mis une grosse somme de points, pour quelle raison l’a-t-il fait ? Est-ce parce que le tableau lui plaisait, est-ce pour gagner l’enchère ? Si un tableau est particulièrement intéressant (mathématiquement), se demander pourquoi ce tableau et pas un autre. Bref, prendre un temps pour mettre des mots et des notions sur les actes qui se sont déroulés.
Dans une deuxième phase (durant le même temps scolaire ou à un autre), le professeur révélera la valeur financière des points donnés aux élèves. En effet, chaque point vaut “dans la vraie vie” 50 millions de dollars et les 36 points, soit 1,8 milliard, représentent la somme totale des œuvres lors de leur vente aux enchères.
Cette phase de révélation a pour but de créer un choc et une réflexion sur la question des valeurs et de leur possible transformation d’un champ à l’autre (valeur esthétique, valeur historique, valeur financière). Il faudra donc veiller, dans cet espace de réflexion, à bien souligner la multiplicité des valeurs en jeu dans ce dispositif. L’enjeu est donc, tout en en créant les conditions, de ne pas réduire l’œuvre à sa valeur financière tout en assumant qu’elle a sa part dans notre représentation de l’œuvre et de l’art.
Et après ?
Plusieurs voies sont possibles à la suite de cette accroche et dépendent en partie du groupe ainsi que de l’appétence (et des connaissances) du professeur pour l’art. En voici quelques-unes :
– Un exercice de conceptualisation sur la notion de valeur.
– Une continuation de la réflexion sur la dimension financière de l’art à travers l’autodestruction “manquée” de l’œuvre de Banksy.
– Une présentation de l’histoire de l’art et des différents critères qui entrent en jeu en fonction des époques (le professeur de français est un allié précieux dans ce cas).
– La présentation de différents artistes engagés qui interrogent les limites de l’art et de sa capacité à interroger notre rapport au monde. On pense aux performance de Marina Abramovic, aux performance de Deborah De Robertis et la différence entre sa pose devant le Courbet et devant Mona Lisa.
– Un exercice de problématisation sur ce qu’est l’art…
Bref, il existe des tonnes de possibilités, l’important c’est de bien sentir le décalage qu’il peut exister entre les élèves et le niveau d’implication (capacité à se projeter dans une dimension inconnue à savoir l’esthétique mais aussi l’art conceptuel) que demandent les exercices et les œuvres abordées.