Les chapitres 3 et 4 d’une de ses œuvres maîtresses, La Descendance de l’homme, sont consacrés à l’étude comparative du sens moral chez l’homme et chez les animaux. On y trouve de multiples observations sur la solidarité qui règne entre les membres d’un couple en vue de leur défense commune. L’altruisme dans le monde animal, l’étonnant attachement que l’homme porte aux animaux domestiques et, inversement, les « qualités morales » déjà accessibles chez les chiens ou les singes domestiqués, par exemple, sont interprétés par Darwin comme des tendances comportementales marquant les étapes successives de la montée vers une moralité que développera l’homme social. Car, pour lui, la moralité des sentiments et des actes est une tendance évolutive aisément décelable dès lors qu’un groupe d’individus parvient à un certain degré de développement psychique. Ce même mouvement, il le voit se poursuivre au sein de l’humanité, car, pour lui, la morale est un fait d’évolution, déterminé lui aussi par la sélection naturelle. À ses yeux, l’évolution intellectuelle tend à s’accompagner d’une atténuation des instincts agressifs alors même que se développe une catégorie particulière d’instincts qu’il qualifie d’« instincts sociaux ». Ces derniers sont spécialement sélectionnés au sein de l’humanité et produisent, dans l’état de civilisation, l’épanouissement de sentiments, d’actes, d’institutions et de conduites dont les effets contrebattent les conséquences ordinaires de la cruelle sélection naturelle : on n’élimine plus les faibles, c’est-à-dire les individus que leurs conditions physiologiques, psychiques ou sociales auraient condamnés à mort, mais, dorénavant, on les protège, on les soigne et on les défend.
Jean-Marie PELT, Franck STEFFAN, La solidarité chez les plantes, les animaux, les humains, Paris, Livre de poche, 2004, pp.114-115.