Les parents donnent la vie, ils nourrissent, chérissent, protègent. Cela oblige l’enfant. Dès son plus jeune âge, il doit le respect à ses parents, il doit les traiter de manière déférente avec tous les égards qui leurs sont dus. Il s’agira donc de leur obéir, de leur accorder en tout la préséance, de leur prodiguer les innombrables menues attentions que requiert la vie quotidienne.
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Au-delà de tous ces devoirs directs envers ses parents, il est, nous dit Confucius, un devoir qui, pour être indirect, n’en est pas moins fondamental car il est la source de tous les autres devoirs. Le premier devoir du fils est de prendre soin de son corps et de le conserver intact, tel qu’il l’a reçu de ses parents. On doit respecter l’intégrité de son corps, aimer son corps, aimer sa vie, par amour et respect pour ses parents. Ne serait-il pas en effet ô combien malséant de gâcher le plus précieux des dons ? Les parents nous donnent la vie et un corps et le respect que l’on doit aux parents nous force à les entretenir. La témérité, le suicide, par exemple sont des atteintes à la piété filiale.
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Certes, si le père est un homme de bien qui sent, pense et agit selon la Voie*, quel bon fils ne lui obéirait ? Cependant, nul n’est infaillible et le meilleur père peut se tromper. Ainsi, avons-nous rappelé, le devoir du fils est d’obéir à son père, et, fondamentalement, de le respecter. Mais comment lui obéir ? Et faut-il lui obéir en toutes circonstances ? Même s’il se trompe ? Non, la simple obéissance ne suffit pas et, nous l’avons rappelé, l’obéissance véritablement filiale est sincère. Les chevaux et les chiens eux aussi obéissent. Le bon fils, le fils pieux obéit à son père en toute conscience et, parce qu’il respecte son père, il saura, en y mettant toutes les formes nécessaires, avec tout le tact requis par les rites filiaux, exprimer sa désapprobation s’il estime que celui-ci se trompe. […] L’intention dans le rituel prime sur le geste et, concernant le rapport aux parents, le respect prime sur l’obéissance. Nous retrouvons ici, dans la piété filiale comme dans le li, la distinction entre la lettre et l’esprit, ce qui correspondrait, dans la pensée philosophique occidentale, à la possible opposition entre légalité et légitimité. On obéit à ses parents dans la mesure où ils suivent la Voie et la Voie peut ordonner de leur désobéir. La désobéissance, ou, sans aller jusque-là, la contestation, loin d’être défaut de respect et de piété filiale, est alors pleinement légitime. Elle est acte de véritable piété filiale.
Michèle MOIOLI, Apprendre à philosopher avec Confucius, Paris, Ellipses Editions Marketing, 2011, pp. 88-93.