Là où vont nos pères

Gagnant du grand prix Angoulème en 2008, Là où vont nos pères de Shaun Tan est une bande dessinée d’une rare poésie sur un sujet complexe… l’immigration. Contrairement aux ombres de Zadus et Hippolyte, le traitement de l’immigration par Shaun Tan s’inspire davantage des mouvements migratoires vers les U.S.A, plutôt présentés dans une dimension d’espoir que de détresse. Toutefois, si le traitement se veut plus onirique et universel, il n’en demeure pas moins lourd d’enjeux représentés par ces ombres de “dragons” qui peuplent les souvenirs des protagonistes.
Là où vont nos pères se présente comme une bande dessinée sans paroles où la narration prendra des formes différentes selon les actions donnant un rythme particulier à la lecture. La taille des “cases” variant fortement d’une page à l’autre, le lecteur sera balancé entre des séquences s’apparentant au roman photo et jouant parfois sur la proximité des actions, parfois sur l’évocation des objets pour planter un contexte. A d’autres moments, comme pour aérer cette proximité, ce seront de grandes illustrations voire des doubles pages qui offriront une vision globale à l’action et au lieu où elle se déroule.

Le dessin, d’une élégance rare et d’une précision bluffante est au service d’une histoire, somme toute “banale” car mille fois vue, d’un homme qui part à l’étranger pour y trouver une vie meilleure, menacé qu’il est par ces monstrueuses ombres. Laissant femme et enfant derrière lui, le père découvre un pays riche aux possibilités multiples où la barrière de la langue doit être surmontée pour s’assurer un avenir. Ce sera alors, dans cette acclimatation douce mais pas idyllique, que le principal protagoniste rencontrera d’autres étrangers déjà installés qui l’aideront à se repérer dans cette nouvelle vi(ll)e tandis que nous en apprendrons plus sur leur passé, lui aussi marqué par la violence, la peur et la misère.
Au-delà du dessin, ce qui marque profondément dans la proposition de l’auteur, c’est le traitement onirique fait de créatures, de symboles et autres systèmes de déplacement qui donne une impression de richesse sans opulence. Tout au long de notre lecture, nous sommes happés par des propositions esthétiques et symboliques variées qui rendent l’expérience assez unique. Comme par exemple cette très belle évocation de la famille laissée derrière au moment où le père ouvre sa valise pour la première fois dans ce pays sans nom.
Une très belle bande dessinée qui traite d’une manière un peu différente une thématique qu’il semble de plus en plus difficile d’aborder de manière sereine tant les enjeux actuels semblent grands.
