Les humiliations ne sont productrices de honte qu’à partir du moment où le sujet est dans l’incapacité de réagir. La révolte interne que l’agression suscite ne pouvant se décharger cis-à-cis de l’agresseur, elle est intériorisée. […]

Devant la honte, on reste « coi », incapable de réagir, soit parce que l’accusation est justifiée, soit parce qu’on est totalement, dépendant ou obligé de se soumettre, ou parce que le caractère inattendu de l’accusation ne permet pas d’y faire face. On « perd la face », on est sidéré.

Le fait de n’avoir pas pu réagir immédiatement ajoute à la violence de la réaction, accroît l’humiliation de n’avoir pas su s’y opposer, d’avoir laissé dire et laissé faire. La pulsion agressive ne pouvant détruire l’attaquant, elle se retourne contre le sujet et c’est lui qu’elle blesse. La blessure est d’autant plus vive que c’est ce qu’il y a de plus précieux en soi qui est touché : son amour propre.

Vincent DE GAULEJAC, Les sources de la honte, Paris, éditions Points, 2008, pp. 68-69.


Le rire désamorce une critique frontale tout en montrant le caractère dérisoire des mises en scène. Il permet de prendre tout cela comme un jeu, de ne pas se laisser piéger, même si on y participe, de faire comme si on y croyait sans y croire, de lutter contre l’infantilisation par des plaisanteries d’enfants, de mettre au jour la duplicité par l’autodérision.

En ce sens, l’humour est à la fois une réaction défensive et un mécanisme de dégagement. Il permet de sauvegarder une partie de soi comme sujet réflexif et « libre » en prenant de la distance, en ne se laissant pas prendre au jeu, en déployant un arsenal critique face aux paradoxes. On rit « jaune », mais l’humour permet de dévoiler des pratiques douteuses et de dénoncer la violence institutionnelle entre collègues, tout en désamorçant le risque que la critique soit retenue contre soi. C’est pourquoi l’humour doit être manié avec précaution. Surtout dans un milieu concurrentiel où la lutte des places fait rage. L’humour permet d’instaurer une relative complicité entre initiés, une sorte de cynisme civilisé qui cultive l’entre-soi, une expression joyeuse de la douleur, une moquerie acerbe et complaisante à l’égard du pouvoir manifestant une docilité révoltée.

Vincent DE GAULEJAC, Fabienne HANIQUE, Le capitalisme paradoxant, Un système qui rend fou, Paris, Seuil, 2015, pp. 236.

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