Prévu sous forme d’atelier philosophique, le présent dispositif peut être utilisé comme accroche à plusieurs thématiques. A travers celui-ci, les apprenants sont invités à être attentifs aux détails, à donner du sens aux éléments anodins et, enfin, à interroger le caractère pertinent de leurs interprétations. Il s’inscrit donc dans la droite lignée d’une approche interprétative du philosopher.
Si le premier dispositif peut se suffire à lui-même, je l’associe à un autre, plus orienté, où la notion de honte est centrale. La finalité de cette séquence déguisée est de proposer une réflexion sur notre rapport au corps et le rôle que la honte y joue, mais de manière détournée et moins frontale qu’à l’accoutumée.
Fait divers de Frans Masereel
Fait divers se présente comme une succession de huit gravures sur bois relatant l’histoire d’une jeune femme qui perdra son innocence et sa réputation dans une relation sans lendemain. Excessivement riche et dense, chaque “planche” cache une multitude de détails, de symboles et autres éléments à interpréter. En effet, dans cette série, Frans Masereel multiplie les “couches” et les temporalités faisant de chaque gravure une histoire dans l’histoire.
C’est sur cette richesse visuelle que se jouera la première partie du dispositif. L’histoire (que vous retrouvez ci-dessous en galerie) sera découpée et proposée aux apprenants sous forme de cartes où chaque gravure pourra être déplacée au gré des envies. Distribuées aléatoirement, il sera demandé de remettre l’histoire dans l’ordre.

Si cette étape n’est, à proprement parler, pas nécessairement en lien avec le philosopher, elle fait intervenir l’interprétation de chacun. Interprétation guidée d’ailleurs pour qui sait observer les subtilités distillées par l’auteur.
Une fois l’histoire remise dans l’ordre, sous l’œil bienveillant du professeur qui s’assurera que les groupes ne font pas de gros écarts, il sera demandé d’en faire le résumé en veillant à être le plus complet possible. Là encore, une attention particulière pourra être portée sur ce qui semble important ou anecdotique aux élèves, à ce qu’ils ont repéré ou non et pourquoi. Pour exemple, dans une de mes classes, aucun groupe n’avait repéré la tentative d’avortement. Dans une autre, une divergence d’opinion apparaissait concernant la troisième image sur le caractère métaphorique ou non de cette main qui se glisse sous la robe.

Une possible exploitation : la distinction entre faute et erreur.
Après ce moment d’échanges (cette première partie tenant sur une heure de cours en fonction de la rapidité de la mise au travail), on peut donner une dimension actuelle à cette histoire en commençant par interpréter le titre – Fait divers – et en réfléchissant sur son actualité malgré l’époque (début du XXe).
A titre personnel, j’aime engager la distinction entre faute et erreur à cette occasion. Demandant aux élèves si (selon eux) : il n’y a rien dire concernant la jeune dame, elle a fauté ou elle a fait une erreur, on partira sur la distinction conceptuelle entre ces deux notions. A ce titre, on veillera à souligner la différence entre conceptualiser et souscrire à une approche normative (qui est celle de dire qu’elle faute ou non).
Bien évidemment, il semble inévitable de discuter de la différence de traitement entre cet homme et cette femme. Pourquoi aurait-elle fait une erreur et pas lui ?
De l’histoire au photolangage sur la honte
Ce Fait divers de Masereel dépeint donc la descente aux enfers d’une jeune vierge qui, ayant tenté d’avorter, finira par se jeter d’un pont. Sur ce point, les planches 5 et 6 sont très intéressantes à analyser dans le détail. Outre le regard des hommes qui la traitent comme une catin ou la foule qui lui jette la pierre, ce sont surtout les mains et le visage de cette jeune femme qui interpellent. En effet, elle, si droite et digne, finit par terrer son visage au creux de ses mains, ne révélant ce dernier qu’au moment de la mort, quand elle sera repêchée.