Faire cours

En guise d’introduction

D’un point de vue purement pragmatique et pratique, une année de CPC (heure commune ou heure optionnelle) équivaut en moyenne à trente périodes de cours. Ces trente heures de cours sont réparties sur cinq parties d’années séparées par des congés. Parties sur lesquelles chevauchent trois périodes liées à la remise d’un bulletin et auxquelles peut s’ajouter une ou deux sessions d’examen.

On l’aura vite compris, ne pas prendre en compte cette organisation particulière de l’année augmente le risque de ne pas bien finir ce que l’on a commencé et de ne renvoyer l’idée d’un cours flottant où les choses ne sont pas véritablement ordonnées. Précisons toutefois qu’à travers cette remarque il ne s’agit nullement de mettre en avant l’idée d’un plan de l’année inaltérable… L’adaptation est une compétence que l’on développe sur le terrain quand on est professeur et surtout quand on est professeur de CPC avec 20 à 24 groupes-classes. Il s’agit plutôt ici de mettre en avant la nécessité d’avoir à l’esprit l’enchaînement de l’année pour être proactif quant aux changements, qu’ils apparaissent subitement ou soient annoncés.

Pour cette raison, je propose de distinguer deux manières d’aborder le travail en classe qui se distinguent radicalement du point de vue temporel… l’atelier et la séquence. Mais avant de commencer, nous devons insister sur un conseil particulièrement précieux pour celles et ceux qui débutent.

Conseils aux enseignants débutants : ne pas oublier l’intention pédagogique

En début de carrière, il est tout à fait compréhensible de vouloir principalement parler de sujets que nous avons travaillés pendant nos études ou dont nous pensons qu’ils vont être engageants pour les élèves. Cette idée assez simple qui veut qu’un sujet “intéressant” permettra une meilleure appropriation des savoirs et des savoir-faire est parfaitement sensée et est même la bienvenue.

Toutefois, il faut impérativement veiller à éviter un écueil : la pensée magique que l’objet fait tout. La démarche consistant à utiliser des objets peu familiers du monde scolaire afin d’obtenir un résultat “supérieur” en termes d’engagement et d’apprentissage doit être pensée et travaillée en amont. Parce que nous sommes dans un cours où une grande part est réservée à l’enquête dans la formation de la pensée, il y a un risque majeur de mal utiliser ces objets et de finir par être déçu du peu d’impact qu’ils auraient sur l’apprentissage de l’élève une fois la surprise de la découverte passée.

Prenons l’exemple de ces fameux films que l’on montre aux élèves avec un petit questionnaire de compréhension où l’on trouve parfois une question vaguement philosophique. Sans décrier le recours au film dans les classes, il me semble important de mettre en garde contre le fameux réflexe de chercher “un chouette film qui parle de”… A mon sens, la réflexion doit être inverse, il faudrait plutôt se demander que vise-je avec mes classes ? et, de là, imaginer à partir des objets de médiation culturelle à notre disposition comment atteindre ces objectifs.

Penser l’intention pédagogique d’une intégration n’est pas conditionné par la question du quoi mais par celle du comment. De là, en fonction de cette intention (qui peut prendre sa source dans l’exclusivité ou le mélange des trois axes développés dans la partie sur l’identité du cours), on pourra commencer à élaborer un atelier ou une séquence plus complète qui évite le piège de l’anecdote ou pire de la mauvaise utilisation d’une ressource que n’importe quelle vidéo youtube aurait mieux traité.

Ces réflexions et d’autres plus profondes sont abordées dans la partie Philosopher avec des objets à potentiel philosophique où je vous fais découvrir comment on peut philosopher à partir du manga, du cinéma ou encore du jeu vidéo. D’ailleurs l’ensemble des réflexions qui suivent cette page sont présentée de manière plus complète dans la partie Didactique du philosopher.

L’atelier

Par définition, un atelier est un dispositif “clos” sur lui-même qui favorise l’émergence et le travail de gestes propres à la philosophie (conceptualiser, problématiser, questionner, interpréter , reformuler, etc.). Par clos, on doit comprendre qu’un atelier est un dispositif qui se présente selon un temps court (une à deux périodes de cours) et dont la fin suffit au dispositif en tant que tel. Bien qu’il puisse faire partie d’un séquençage – Edwige Chirouter organise ses séances (ateliers) sur un mois à travers des variations (la séquence) – l’atelier doit se terminer “proprement” que ce soit à travers un moment de synthèse, une explicitation des gestes proposés durant l’atelier ou toute autre manière de rendre visible ce dont on a fait l’expérience et ce que l’on a créé.

Toutefois, et c’est là un élément essentiel, la prééminence du geste dans l’atelier ne l’empêche nullement d’aborder des contenus comme peuvent l’être les images d’un photo-langage, l’album jeunesse d’une discussion à visée philosophique ou encore le court métrage d’animation incitant au questionnement. Il faudra simplement distinguer ce contenu en tant qu’il est l’occasion d’un geste philosophique ou un support à la pensée d’un contenu qui a une valeur déterminée dans un séquençage plus long et dont l’intérêt pourra résider dans une réactualisation ne nécessitant pas de gestes particuliers comme peut l’être, par exemple, le droit à l’image pour interroger la question d’un droit juridique et moral à l’intimité.

La séquence

Contrairement à l’atelier, la séquence suppose plusieurs moments qui ont chacun un rôle et une utilité dans un processus plus long dont le tout a plus de valeur que la somme de ses parties. Une séquence peut, comme nous l’avons vu plus haut, se construire autour de la répétition d’ateliers. Toutefois, dans la majorité des cas, la séquence de cours se construit autour d’un déroulement pensé et prévu en amont qui envisage des articulations ainsi qu’un rythme choisis pour l’apprentissage.

Plusieurs méthodes de construction de séquences existent en fonction de la nature des cours et de l’objectif qui y est visé. A ce titre, nous devons distinguer deux éléments proches mais différents : l’intention pédagogique des moments constitutifs d’une séquence d’un côté, et le dessein de la séquence dans sa totalité. Cette distinction est d’autant plus importante qu’une fois maîtrisée, elle facilitera le travail de mise en place d’évaluations qui font sens tant pour l’apprenant que pour le professeur.

L’intention pédagogique du moment de la séquence correspond principalement à la question pourquoi fait-on ce que l’on ce que l’on fait à ce moment de la séquence ? Selon cette idée, tous les moments de la séquence ne doivent pas forcément comprendre de visée philosophique. Par exemple, nous commençons systématiquement nos séquences sur les nouvelles technologies par un petit tour d’horizon des pratiques numériques des élèves afin de faire émerger des prises de position sur ces pratiques mais également sur la nature de ces pratiques (le jeu vidéo n’est pas de même nature que les réseaux sociaux, qui ne l’est pas de l’appartenance à une communauté de fanfiction, etc.). Ce tour d’horizon a pour but de “cartographier” les groupes d’apprenants afin de pouvoir orienter les discussions futures sur des nuances plus adéquates avec leur pratique.

En revanche, le dessein se doit de comporter cette dimension philosophique. Pour y parvenir, nous vous proposons une petite méthodologie pour dessiner son dessein de séquence. C’est une étape nécessaire, selon moi, avant de commencer à construire le plan de séquence.

Petite méthodologie pour dessiner le dessein

1. Précisez le thème

Il s’agit d’éviter de prendre des notions trop vagues qui risqueraient de nous faire digresser à l’infini et rendre le propos très obscur pour les élèves. Baliser la réflexion est essentiel. Les élèves ont une heure de cours par semaine, une réflexion sur quatre semaines, c’est un mois de travail ! Naviguer à vue est un exercice difficile (même quand on est diplômé de philosophie) et les élèves sont rassurés par des éléments stables sur lesquels se reposer (surtout si vous prévoyez une évaluation, pensez au fait qu’ils doivent pouvoir refaire le fil de la réflexion mais ne pourront pas la « revivre »).

Par exemple, si l’on parle de liberté et responsabilité, il est bon de déterminer à l’avance de quelle forme de liberté on parlera ou du contexte dans lequel on installera notre réflexion (liberté métaphysique, déterminisme socio-économique, liberté d’expression, méritocratie, etc.). Déterminer un angle d’approche amène de la clarté pour vous et vos élèves.

Exemple : on part de la signification légale de la responsabilité pour aller vers une représentation plus philosophique. Ou, à l’inverse, on part d’une représentation métaphysique de la liberté (ou du déterminisme) pour arriver à ses conséquences concrètes sur la vie de tous les jours.

2. Estimez la durée souhaitée.

La durée aura un impact non négligeable sur votre préparation. Une leçon de cinquante minutes n’a pas la même accroche qu’une leçon prévue sur cinq heures de cours.

D’un point de vue pratico-pratique, veillez à garder un œil sur votre calendrier de l’année (congés, périodes scolaires etc.). Bien qu’il soit une contrainte pour le temps long que demande la philosophie, il peut, une fois maîtrisé, s’avérer un allié précieux. Une semaine de vacances pour un élève, c’est une rupture dans son apprentissage. Si vous prévoyez une séquence sur un temps plus long, assurez-vous de maintenir l’attention de l’élève pour la reprise (travail, documents à consulter, textes à lire etc.)

Conseil pour le début de carrière : Veillez à ne pas dépasser les six heures de cours sur une même thématique sauf à avoir mis en place un dispositif très engageant pour les élèves. On le rappelle, six heures de cours de Philosophie et citoyenneté peuvent être égales à deux mois de vie de l’école pour l’élève.

3. [En cas de manque d’inspiration] Déterminez ce que vous ne voulez pas obtenir comme résultat (pour vous comme pour mes élèves).

Dans le cas où la thématique, le point du programme, ne vous inspirent pas, cherchez le sud pour trouver le nord. L’idée est d’imaginer ce que serait un cours « raté » qui parlerait de cette thématique, de ces concepts. Il ne s’agit pas ici de déroulement (d’ambiance de classe, de discipline etc.), mais plutôt d’imaginer ce que serait un cours que vous ne voudriez pas suivre sur le sujet. Une fois cet opposé déterminé, cherchez la meilleure manière de l’éviter.

Exemple : Pour l’U.A.A. Bioéthique, il me semble qu’il y a un gros risque de ne faire une sorte de discussion de café où chacun donne son avis sans nécessairement maîtriser les enjeux des problématiques soulevées. Je n’ai pas envie de faire de la discussion de comptoir liée uniquement à des représentations du monde. Dès lors, je vais plutôt m’intéresser à la difficulté inhérente aux questions de bioéthique, à savoir à comment concilier le caractère hautement moral et « subjectif » de ces questions, leur caractère politique puisqu’elles touchent la société dans son ensemble et le caractère scientifique dont la portée est souvent minorée alors que la science peut aider à baser et déterminer des avis. Donc, j’aborderai plutôt la bioéthique « pour » la bioéthique, ce qu’elle est vis-à-vis de la société, ce qui en fait le caractère compliqué. Et vu que je ne suis pas à l’aise avec la gestion des avis à chaud ou peu éclairés, je m’assurerai d’une base commune de connaissance à toute la classe (en regardant le programme de bio) ou je prendrai un cas de figure fictionnel pour « amoindrir » l’impact et permettre l’engagement qu’il peut susciter auprès des élèves (un peu comme le concept de paravent du personnage chez Chirouter).

4. Déterminez l’élément utile / factuel abordé au cours.

En tant que « praticiens » de la philosophie nous avons l’habitude d’ancrer les réflexions philosophiques dans des systèmes de références forts abstraits (les concepts). Il n’en va pas de même pour les élèves.

Pour rendre concrète la réflexion, il peut s’avérer utile et efficace de l’associer à un élément tangible qui permettra de « situer » la problématisation, la réflexion, la conceptualisation. Il peut s’agir d’un droit qu’on porte à leur connaissance, un élément historique – apparition d’un changement de mœurs dans la société, une révolution, … – d’une « loi » dans une discipline non enseignée en secondaire (marketing, communication, etc.). Plus qu’une accroche, cet élément factuel permettra de mettre en lumière la particularité de votre approche philosophique. De plus, vous aurez plus facile à évaluer (ce qui ne veut pas nécessairement dire coter) le degré de compréhension du passage de la factualité de la situation à une abstraction.

Exemple : Parler des influenceurs et de notre rapport à leur personne comme à leur contenu peut être l’occasion d’aborder le concept d’autorité cognitive et d’ouvrir la réflexion vers une dimension philosophique où un travail de conceptualisation du mot “influenceur”.

5. Déterminer le twist, l’éclairage inattendu qu’apporterait une approche philosophique.

Assumons le fait que « la philosophie c’est se prendre la tête ». Cette sentence ne sera un problème (pour vos élèves) qu’à la condition où l’effort attendu serait purement gratuit sans autre intérêt que « la beauté du geste ». Sans juger du caractère normal ou triste d’une telle sentence, faire de la philosophie avec des personnes peu rompues à l’exercice de la philosophie doit (si elle s’inscrit dans une logique d’efficacité) comporter un peu de « magie », un peu d’inattendu qui fait sens et qui marque les esprits. Si le jeu n’en valait pas chandelle pour toute la classe, au moins il y avait jeu.

Pour se convaincre de l’utilité de ces twists, il suffit d’ailleurs de penser aux thématiques généralement abordées par les recueils de philosophie ou les choix de thèmes récurrents dans les nouvelles pratiques philosophiques : la mort, l’amour, le bonheur, l’amitié, la vérité etc. Bien souvent des thèmes qui ont un fort potentiel d’engagement pour ancrer une réflexion qui fait sens pour l’élève.

Il peut être bon de réfléchir à cet inattendu que vous aimeriez leur apporter à l’occasion du travail que vous allez réaliser avec eux. Quelle est cette chose dans cette thématique qu’aucun autre cours ne pourra apporter ?

Exemple : Dans l’U.A.A. Rapport éthique à soi et à autrui, j’aime aborder les concepts d’humour et de moquerie non pas exclusivement du point de vue de la “permission ou non à rire de tout”, mais sous l’angle du caractère nécessairement méchant de la moquerie. L’idée est de voir avec eux si on peut se “moquer gentiment” ou si la moquerie est nécessairement méchante (et alors définir en quoi). Ici l’exigence philosophique de distinguer, de découper les notions et les concepts apportent un regard neuf sur ce qu’ils ont généralement tendance à considérer pour acquis sans arriver à le formuler clairement…

En guise de conclusion

Si vous cherchez des éléments pour améliorer et entreprendre un regard réflexif sur vos propres séquences, je vous conseille de parcourir la partie du site consacrée aux Séquences.

Le champ de l’élaboration du cours étant maintenant éclairci, il ne nous reste qu’à aborder l’étape finale de cette longue introduction… l’évaluation.

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