Chef d’œuvre de la littérature de science-fiction, Des fleurs pour Algernon est originellement une nouvelle avant d’être un roman. Publiée en 1959, l’histoire raconte comment Charlie, débile léger, participe à un protocole qui doit le rendre plus intelligent. Le caractère remarquable de cette nouvelle tient en sa narration. En effet, le récit nous est distillé à travers des compte-rendus écrits par Charlie lui-même. Compte-rendus qui tantôt sont de nature descriptive tantôt mettent en avant le ressenti de Charlie.

Au-delà de la force de cette histoire qui nous montre comment un idiot devenu intelligent se rendra compte des misères qu’il a subies sans pour autant sembler trouver le bonheur, c’est le caractère profondément immersif qui rend cette nouvelle incontournable. En effet, en proposant une approche proche de l’épistolaire et à l’aide d’un travail sur la syntaxe et l’orthographe, nous ne nous rendons pas seulement compte de l’évolution de Charlie, nous la vivons en lisant. Si les premières pages, presqu’illisibles, demandent de nous fier à la phonétique de ce qui est écrit et révèlent la pauvreté du vocabulaire, les formulations riches qui portent sur la remise en question des protocoles scientifiques dont Charlie, qui a repris à son compte les recherches, témoignent d’un esprit brillant étranger au jeune handicapé…

Véritable expérience de lecture, courte et intense, profondément immersive et suscitant une empathie immédiate tout en permettant l’émergence de questionnements philosophiques sur le bonheur et l’intelligence, les relations humaines et le savoir, Des fleurs pour Algernon de Daniel Keyes s’impose comme un incontournable de la littérature courte.

Suggestions d’utilisation

Idéale pour réaliser une communauté de recherche philosophique, la nouvelle demandera néanmoins d’être lue à domicile. Bien que courte (une quarantaine de pages format poche), elle sera trop longue pour s’inscrire dans la méthodologie de lecture collective proposée par Matthew Lipman. A ce titre, il faudra veiller, si vous faites emprunter ou acheter l’ouvrage aux apprenants de bien préciser qu’il faut l’édition augmentée (qui comporte la nouvelle). Une version audio est également disponible (mais plus onéreuse) sur audible. La lecture, admirable de Grégory Gadebois retranscrit à merveille ce sentiment de changement et d’évolution qui nous parcourt à la lecture.

A côté de son utilisation pour une CRP, nous avons eu également l’occasion de l’exploiter après un moment de partage à l’instar d’un club de lecture. Une fois la gratuité (pédagogique) du partage des impressions des uns et des autres sur cette histoire, son caractère émouvant et les quelques idées philosophiques qui s’amorçaient, nous avons proposé un exercice de comparaison basé sur certaines maximes de La Rochefoucauld.

L’idée est somme toute assez simple. Parmi un choix varié de maximes, il a été demandé aux apprenants d’en choisir une qui leur semblait en lien avec l’histoire et d’expliciter ce lien. La sélection proposée comporte des maximes au lien évident, d’autres moins ainsi que certaines qui n’ont visiblement aucun lien…quoique.

Ce qui rend les douleurs de la honte et de la jalousie si aigües, c’est que la vanité ne peut servir à les supporter.

Dans l’amitié comme dans l’amour on est souvent plus heureux par les choses qu’on ignore que par celles qu’on sait.

Cette clémence dont on fait vertu se pratique tantôt par vanité, quelquefois par paresse, souvent par crainte, et presque toujours par tous les trois ensemble.

Il semble que la nature, qui a si sagement disposé les organes de notre corps pour nous rendre heureux, nous ait aussi donné l’orgueil pour nous épargner la douleur de connaître nos imperfections.

On n’est jamais si heureux ni si malheureux qu’on imagine.

La vérité ne fait pas tant de bien dans ce monde que ses apparences y font de mal.

Un habile homme doit régler le rang de ses intérêts et les conduire chacun dans son ordre. Notre avidité le trouble souvent en nous faisant courir à tant de choses que, pour désirer trop les moins importantes, on manque les plus considérables.

Si on juge de l’amour par la plupart de ses effets, il ressemble plus à la haine qu’à l’amitié.

Nous plaisons plus souvent dans le commerce de la vie par nos défauts que par nos bonnes qualités.

L’intention de ne jamais tromper nous expose à être souvent trompés.

François de La Rochefoucauld, Réflexions ou sentences et maximes morales.

Un bel exercice d’autant plus intéressant qu’il mêle le côté immersif et empathique de la nouvelle avec le caractère bref et globalisant des maximes.

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