Un diable dans la poche

Court-métrage d’animation – qui est un travail de fin d’étude de la prestigieuse école d’animation Gobelins – Un diable dans la poche est remarquable à plus d’un titre. Que ce soit par sa narration, son esthétique ou encore les nombreuses thématiques qu’il convoque, ce petit film est idéal pour réaliser un atelier…

Sept enfants esseulés dans une maison voient pénétrer dans leur demeure deux chasseurs poursuivant un faon. L’un des chasseurs profite de ce qu’il pense être une occasion sans témoin pour abattre l’autre et récupérer le trésor dans son ventre.. C’est alors qu’il découvre les enfants et va les faire participer à son forfait en achetant d’une part d’or leur innocence et les menaçant de revenir les tuer s’ils venaient à dire la vérité… Seul face aux autres bien accommodants, Auguste désespère de trouver de l’aide sans éveiller les soupçons.

Un très beau court-métrage de Antoine Bonnet et Mathilde Loubes sur la nature humaine, la corruption, l’innocence, la sincérité, la peur, sur la valeur d’une promesse, bref sur mille choses à y voir….

Analyse de l’œuvre

Pour commencer, nous pouvons mettre en avant les différents thèmes abordés dans cette œuvre. Voici ceux qui nous semblent les plus évidents : le bien et le mal, la peur et l’influence, l’enfance et l’innocence, le secret, la promesse et la trahison, la complicité et la justice, le jeu et l’insouciance.

En ce qui concerne la narration, le découpage de ce conte en trois actes permet une appréhension des différents thèmes et de saisir l’évolution des relations entre les personnages.

Dans la première partie, le contexte est posé, les enfants sont seuls : Une maison isolée, sept enfants esseulés. Malgré cette introduction qui aurait de quoi inquiéter, la voix nous rassure en indiquant qu’ils n’ont aucun souci derrière les murs par dessus lesquels ils peuvent voir.

Un jeu vient enterrer les potentielles craintes en plaçant une ambiance d’amusement et d’insouciance. Ils jouent.

L’intrusion des hommes changera la donne en rompant avec l’isolement. Après l’assassinat, un premier thème, celui de la corruption peut être vu dans la symbolique de l’or caché dans le ventre du cadavre. Corruption car cet or est recherché par cet homme et le pousse à commettre un meurtre, mais surtout, cet or, en plus de la menace de mort, sera l’assurance du silence des enfants. Certes ils ont peur, mais ils ont aussi ce lien qu’ils “choisissent” de prendre… sauf Auguste.

Personnage central de cette histoire, Auguste fait figure d’exception par rapport aux autres enfants. Dès le premier acte, la scénographie nous montre déjà qu’il n’a pas la même approche que les autres de la situation. En plus de faire fuir le faon, nous pouvons remarquer qu’il “n’agit” pas. Lorsque les autres tirent le cadavre et le fusil, il se tient à côté, lorsque les autres prennent une pépite dans la main de l’assassin, il ne la prend pas – on lui donne – et lorsque les autres dorment à poings fermés, il se réveille et revit la scène. Une question se pose tout de même à ce stade, peut-on considérer les enfants complices de l’assassin ? Et dans le cas d’Auguste, est-il moins complice (si on répond à la première question par l’affirmative) que les autres enfants ? La question est lancée.

untitled image

Le deuxième acte place en son cœur la notion de secret. En effet, l’apparition d’un troisième groupe de protagonistes, les hommes à cheval, offre une nouvelle dimension au secret et à la promesse faite. Parce qu’il y a maintenant possibilité d’en parler à des personnes qui ne savent pas, ne rien faire devient une action, ou du moins un choix. Encore une fois, c’est à travers la figure d’Auguste qu’apparait la tension de la situation. Sur le point de tout révéler, il en est empêché par une des enfants et se fera sermonner par le groupe une fois replié en ses murs. “Tu veux nous faire tuer ?” Voilà comment lui est annoncé la gravité de son intention. Et pourtant, dans la scène qui suit directement, nous remarquons que les enfants ne sont plus terrorisés de la situation, ils en rient même.

Mais rire est-ce nécessairement être d’accord ? Doit-on voir dans cette mise en scène de l’assassinat dont ils ont été les témoins une forme de complicité, de subjugation voire de plaisir ? Peut-on toujours les considérer innocents en jouant sur l’ambivalence de ce terme entre l’acte et l’état ? Vaste question à ce stade.

La réponse à nos questions se trouvent peut-être encore une fois dans l’annonce de cette voix quand elle déclame : “cinq, six… et le septième ne jouait plus…”. Ce septième profitant de moments où il est esseulé (d’où un isolement total, physique et moral) commence à créer un chemin de pépites d’or tel le petit Poucet.

Troisième et dernier acte, Le traitre, laisse exploser la tension sous-jacente à la sécession d’Auguste. Se demandant ce qu’ils doivent faire d’Auguste afin qu’il se taise, lui couper la langue par exemple, le groupe se contentera de le surveiller. Car face à l’inefficacité de sa première idée pour alerter les hommes à cheval, le benjamin (à considérer que ce soit une famille) décide de se séparer de sa pépite d’or en l’attachant aux pattes d’un oiseau. Ici la symbolique ne laisse aucun doute quant à la relation construite entre l’oiseau (liberté) et la pépite (corruption). Cet oiseau qui sera d’ailleurs abattu par ceux qui ne se défont pas de leur pépite comme des autres (celles ramassées détruisant ainsi le travail de ce nouveau petit Poucet). Mais Auguste est-il véritablement un traitre ? Après tout, cette notion suppose à minima une sorte de pacte, quel pacte a-t-il donc passé avec les autres ? Vivre en commun suppose-t-il une sorte de contrat ? Surtout que, dans ce cas, ils ont eu la possibilité de dénoncer l’assassin. Auguste aurait-il dû comprendre, après la discussion, qu’il n’est plus du tout libre de choisir ? L’a-t-il seulement été depuis que le chasseur s’est retourné ? Son destin n’était-il pas scellé ?

Comme mot de la fin

Bien d’autres choses peuvent encore être dites sur ce court-métrage d’une incroyable richesse (on pourrait parler des jeux de couleur, de la symbolique des murs, etc.) qui, à l’instar de grands albums de jeunesse, est un formidable terreau d’émergence à la réflexion morale et philosophique et au questionnement.

A lire également