D’un point de vue empirique, il a été établi que les enfants infèrent très tôt certaines propriétés d’individus inconnus sur la base de stéréotypes sociaux. Par exemple, quand on présente à des enfants européens de 3 ans le dessin d’un garçon et d’une fille, puis qu’on leur demande lequel des deux personnages possède des poupées, ils anticipent très majoritairement qu’il s’agit de la fille, et non du garçon [Hirschfeld et al., 2007]. Une telle anticipation ne peut s’appuyer que sur le stéréotype de genre qui veut que les filles jouent à la poupée et les garçons aux petites voitures. De façon plus intéressante encore, si l’expérimentateur indique à des enfants du même âge que la fille sur le dessin n’aime pas jouer à la poupée, puis qu’il leur demande qui du garçon ou de la fille s’apprête à jouer à la poupée, environ la moitié des enfants testés s’attendent encore à ce que ce soit la fille qui le fasse ! Ce n’est que vers l’âge de 5 ans que les enfants parviennent dans cette situation à surmonter efficacement le stéréotype de genre pour tenir compte de la préférence individuelle du personnage.
Laurent CORDONIER, La nature du social, L’apport ignoré des sciences cognitives, Paris, PUF, 2018, pp. 140-141.
En recourant également à des animations vidéo, les psychologues Olivier Mascaro et Gergely Csibra ont pu établir qu’à partir de l’âge de 15 mois, les bébés anticipent qu’un personnage qui en a dominé un autre dans un contexte donné (une situation de concurrence pour l’occupation de l’espace, par exemple) le dominera également dans un contexte différent (une situation de concurrence pour la possession d’un objet ; à noter que dans cette expérience, les personnages mis en scène ont la même taille). Cela montre que les bébés de moins d’une année et demie sont capables de détecter l’existence d’une relation de dominance entre deux individus en se basant sur le résultat de leurs interactions passées. Cette expérience établit en outre qu’à cet âge les bébés se représentent la relation de dominance de façon suffisamment abstraite pour pouvoir la transposer d’un contexte interactionnel à un autre, et qu’ils s’attendent à ce qu’elle perdure dans le temps.
Laurent CORDONIER, La nature du social, L’apport ignoré des sciences cognitives, Paris, PUF, 2018, p. 147.