Mais il n’est pas vrai que la science cherchant des explications de type historique soit plus mauvaise, plus limitée et moins capable d’atteindre des conclusions sûres parce que ses méthodes de travail habituelles ne reposent pas sur l’expérimentation, la prédiction et l’examen de tout phénomène sous l’angle exclusif des lois invariables de la nature. Ce type de science recourt à un mode différent d’explication, fondé sur la comparaison et l’observation d’abondantes données. On ne peut pas, au sens strict, voir se dérouler sous nos yeux un événement du passé ; mais la science se fonde généralement sur la déduction et non sur la simple observation (on ne peut d’ailleurs pas voir directement les électrons, la gravité ou les trous noirs).
Ce n’est pas l’observation directe qui définit ce qui est scientifique, mais la possibilité de faire des tests, et cela est vrai pour toutes les sciences, qu’elles se révèlent du mode stéréotypé, ou du mode historique. Il faut pouvoir décider si nos hypothèses sont définitivement fausses ou probablement correctes (nous laisserons l’affirmation de certitudes aux prêcheurs et aux politiciens). La richesse de l’histoire nous conduit à envisager des méthodes de tests différentes, mais la possibilité de tester est tout aussi bien notre critère fondamental. Nous travaillons sur la base d’un puissant ensemble de données riches et diverses, représentant les conséquences des événements passés ; et nous ne nous lamentons pas sur notre incapacité à observer directement les phénomènes (du temps passé). Nous cherchons des modalités qui se répètent, fondées sur des données si abondantes et si variées qu’aucune autre interprétation coordinatrice ne pourrait tenir, bien que n’importe quel fait pris isolément ne puisse être une preuve convaincante.
Stephen Jay GOULD, La vie est belle, Les surprises de l’évolution, trad. Marcel Blanc, Paris, Editions du Seuil, 1991, pp. 365-366.