Intervieweuse (Véronique Thyberghien) – Il y a eu aussi un phénomène, parce que vous mettez en exergue un débat au sein de la communauté scientifique, que je trouve moi plutôt sain quelque part, parce qu’il nous questionne aussi, mais il n’y a pas eu de débat entre le politique et le scientifique. En tout cas, pas dans la communication qui a été présentée.

Catherine Bréchignac – Alors ça, ça a été vraisemblablement une erreur. Je pense qu’on a un peu idéalisé les scientifiques en mettant par exemple, en France, à côté du président de la République, un comité, un conseil scientifique. C’est vrai, c’était utile évidemment, c’est intéressant de faire ça. Sauf que ce conseil était constitué essentiellement de gens du domaine médical et donc, cela ne donnait pas tout à fait le débat qui existait au niveau des milieux scientifiques. On n’a, par exemple, jamais parlé du mécanisme du covid, ou de la covid. On n’en a jamais parlé vraiment. C’est-à-dire, on s’est contenté de regarder essentiellement son impact sur l’Homme et on a tout de suite pensé : l’épidémie, la pandémie, etc. Et donc on est parti dans des statistiques et des méthodes comme ça. En fait, revenir au côté physico-chimique du problème, on ne l’a pas vraiment abordé alors que dans les laboratoires, les gens travaillent là-dessus. Comme disait Arnaud, le temps pour travailler sur ce sujet, pour le comprendre, est beaucoup plus long que le temps de l’immédiateté : Quand on est malade, qu’est-ce qu’on fait ? Donc […] la première chose c’est d’aller voir le médecin qui, lui, a une connaissance empirique et va, en fonction du malade, réagir d’une façon ou d’une autre. Et moi si je suis malade, je vais voir le médecin, je ne commence pas à me dire qu’est-ce que j’ai et comment je vais ? [Précision : ici la phrase est à comprendre dans le sens je ne suis pas dans une démarche de recherche scientifique]. Je crois qu’il y a une différence entre faire de la science sur des choses, faire de la science sur des mécanismes et puis se trouver confronté au problème humain.

Intervieweuse – Vous avez un formidable chapitre sur la com’, vous l’avez appelé La tyrannie de la com’ ce que je peux comprendre dans votre dialogue. Mais que je trouvais, à l’aube de ce qui s’était passé, extrêmement intéressant et nous permet de prendre du recul aussi sur cette communication politique « versus », parfois, communication scientifique. Arnaud Benedetti, on ne peut pas faire de la communication scientifique comme on fait de la communication politique. Ce ne sont pas les mêmes dialogues. Même si vous deux avez dialogué.

Arnaud Benedetti – De toute façon la communication politique a quand même une vocation : c’est de gérer les opinions publiques. De gérer et parfois de gérer les émotions. La communication scientifique, elle a toujours existé, c’est un phénomène qui est aussi vieux que la science. C’est-à-dire que, quand les chercheurs produisent un certain nombre de résultats, ils les produisent en première instance à destination de leur communauté scientifique. Donc là, c’est à partir de ces communications scientifiques que se noue un débat entre scientifiques.

Catherine Bréchignac – Oui, mais là, Arnaud, tu as raison, simplement il y a eu une simultanéité entre la communication scientifique entre scientifiques et la communication avec le public.

Arnaud Benedetti – Oui forcément parce que, finalement, cette épidémie est devenue un sujet d’abord et prioritairement politique. Donc à partir du moment où ça devient un sujet prioritairement politique, c’est un sujet qui tombe dans l’espace public, qui tombe dans l’espace médiatique, qui, d’une certaine manière vient perturber forcément la communication scientifique.

La communication scientifique, c’est une communication qui vise à produire et à valoriser un certain nombre de connaissances qui sont établies par tout un ensemble de résultats et de protocoles scientifiques. La communication politique, elle a une toute autre mission. La communication elle a une mission qui est celle de s’adresser aux citoyens, de s’adresser aux opinions publiques en leur délivrant des messages qui doivent être audibles. Et la difficulté à laquelle ont été confrontés, finalement, les autorités politiques mais également les autorités sanitaires, c’est qu’à partir du moment où vous n’avez pas une connaissance scientifique qui est stabilisée, il est extrêmement difficile de pouvoir communiquer.

Regardez les polémiques que nous avons connues ici en France sur les masques. Bien évidemment elles étaient aussi liées au fait […] qu’il y avait une pénurie sanitaire dans ce domaine-là. Mais dès le début, il y avait des controverses entre scientifiques sur ‘l’utilité même du masque. En tout cas, en France, c’était quelque chose qui est apparue très rapidement. Donc à partir du moment où vous avez disons, un savoir qui n’est pas stabilisé, où vous avez des controverses, il est extrêmement difficile pour le politique qui est confronté à une situation d’urgence de pouvoir répondre.

L’autre difficulté c’est qu’il peut y avoir une médecine d’urgence, mais c’est très difficile d’avoir une recherche d’urgence. La médecine d’urgence, c’est quelque chose que l’on connaît, que l’on a développé maintenant depuis un certain nombre de décennies. Mais la recherche d’urgence, c’est tout à fait autre chose en l’occurrence. Et c’est extrêmement difficile de pouvoir mettre en place des protocoles scientifiques dans une situation qui était une situation de circonstance exceptionnelle comme celle que l’on a connu.

Les politiques, en fait, ils avaient besoin de réponses claires. Le problème, c’est que les scientifiques ne pouvaient pas lui apporter des réponses claires sur des sujets d’une très grandes complexité, ce qui a créé bien sûr, parfois, un court-circuit avec l’opinion publique. Il y avait d’autres sujets qui touchaient la logistique sanitaire.

RTBF, émission « Tendance première », Faut-il avoir peur du progrès ? émission du 30 septembre 2020. Retranscription par Jean-Denis Oste.

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