Philosophe, enseignant, pédagogue et militant, François Galichet nous a proposé en 2019 sa vision de l’enseignement de la philosophie et en particulier auprès du jeune public à travers son très réussi Philosopher à tout âge, Approche interprétative du philosopher. Si ce livre n’est pas le seul à traiter d’enseignement dans la bibliographie de l’auteur, il en demeure de loin le plus complet.

Se divisant en deux parties, l’une théorique, l’autre pratique, l’ouvrage montre un souci d’ancrer sa réflexion dans les particularités du philosopher et plus précisément de celles de la philosophie avec les enfants. Comme l’indique le sous-titre du livre, l’interprétation trouvera une place prépondérante dans la manière de philosopher. Prépondérance qui s’inscrit tant au niveau théorique qu’au niveau pratique.

La première partie de l’ouvrage se base sur un axiome assez fertile. Partant du principe que nul ne pense de nulle part, l’auteur y remet en question l’idée d’un étonnement primaire, fondamental et, de ce fait, remet en cause l’idée d’un retour à l’émerveillement enfantin que tout apprenti philosophe devrait viser. Précisons toutefois que cette opposition ne prend pas la forme d’une dénonciation des autres formes de philosopher, au contraire. L’idée derrière cet axiome est d’en révéler le prima de l’interprétation sur les autres habiletés de pensée. Prima lui-même sous-tendu par le caractère culturellement déterminé des représentations des individus pensants.

De ce fait, Galichet opère un geste assez intéressant en destituant l’enjeu d’un retour à l’innocence de l’enfant (qui permet le dépassement de considération culturelles et matérielles pour aller vers l’abstraction et l’universel) pour le placer dans une herméneutique des objets à partir desquels on “philosophe”.

On ne cherche plus à les dépasser le plus vite possible vers la question universelle dont ils ne seraient que l’occasion première. On s’attache au contraire à y demeurer ; on les considère comme des objets à interpréter, c’est-à-dire à lire, au plein sens de ce mot. Ce qui signifie : en dégager le sens, ou plutôt la pluralité des sens, les ambiguïtés, les valeurs qui les sous-tendent, les croyances qu’ils expriment.

Galichet, F. (2019) Vrin.

Si à la lecture de cette présentation, on pourrait voir dans la démarche de Galichet une “simple” forme de déconstruction des objets proposés à l’apprenant, les choses sont en réalité plus subtiles. Pour l’auteur, l’interprétation, plus qu’un outil de déconstruction des rapports de pouvoir et de façonnage des imaginaires, doit être considéré comme un fondement de la subjectivité et des jugements qui la composent.

Détaillant au cours de l’histoire de la philosophie comment on peut y voir la marque et la place de l’interprétation, l’auteur n’a de cesse de donner des “lettres de noblesse” à cette habileté de pensée vis-à-vis des autres, plus communes, telles que l’argumentation, la conceptualisation ou encore la problématisation. Devenue fondamentale, sans exclure les autres habiletés, l’interprétation est pour Galichet au sens radical ce qui rend les objets intelligibles.

La deuxième partie du livre quant à elle s’inscrit de manière pleine et entière dans la tradition des manuels, et plus particulièrement des manuels en nouvelles pratiques philosophiques avec leurs lots d’explications et de détails d’interactions lors d’ateliers. Basée essentiellement sur des photomontages (proposés gratuitement par l’auteur sur son site), la méthodologie de Galichet fait la part belle à l’exploitation et à la découverte d’éléments de culture commune (qu’elle soit mondiale ou française).

Cet ancrage culturel, en plus d’avoir des vertus pédagogiques, sert un objectif lié à la citoyenneté au cœur de l’engagement de l’auteur. Dans le très inspirant chapitre sept de l’ouvrage, Galichet déploie toute l’ambition de son entreprise du point de vue de la société et de la démocratie. Pour lui la démocratie est le lieu de l’interprétation et des conflits herméneutiques là où les sociétés totalitaires sont le lieu des concepts qui enferment les individus dans des limites imposées de l’extérieur. Faisant donc de l’interprétation à la fois le moyen et l’enjeu de la vie en commun dans les sociétés ouvertes, l’auteur propose une transition parfaite entre un exposé assez théorique (sans être rébarbatif) et une application en classe qui y trouve une justification en parfaite adéquation avec les enjeux de la citoyenneté moderne.

Il n’aura échappé à personne que cet ouvrage a été une lecture majeure dans la formation de notre représentation de la place de la philosophie dans la société et à l’école. Nous reprocherons, à titre personnel, une deuxième partie trop axée sur le détail des ateliers là où nous aurions aimé trouver une méthodologie de construction d’ateliers qui font la part belle à l’interprétation. Il ne s’agit pas de dire de cette deuxième partie qu’elle est décevante, elle fourmille d’explications et de conceptualisations, nous regrettons simplement que l’auteur ne s’adresse pas aux pédagogues alors qu’il le fait brillamment vis-à-vis des philosophes et des enseignants.

En définitive, nous conseillons vivement cet ouvrage majeur qui remplit à merveille les objectifs d’un ouvrage sur le philosopher et son application en classe.

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