Louis Schweitzer : Une objection souvent faite à la notion de droit de l’animal est qu’il ne saurait y avoir de droits sans devoirs. Cela me paraît une idée absurde. Un bébé de quelques semaines, par exemple, a des droits. Je ne connais aucune civilisation, ou plutôt je ne tiendrai pas pour une civilisation, une société qui ne les reconnaîtrait pas. Pourtant, je vois mal comment définir les devoirs d’un bébé. Il y a là un début de dissociation. Le fait d’avoir des droits n’est pas lié à une capacité. Ainsi, il manque à l’ensemble des animaux la capacité de communiquer avec l’homme. D’ailleurs, dès que l’on a l’impression de communiquer avec une espèce, elle monte dans notre hiérarchie de valeurs. C’est typiquement ce qui se passe avec les chiens, et qui ne se passe pas, comme vous le soulignez à juste titre, avec les cochons. La hiérarchie des animaux n’est pas fondée sur une analyse scientifique, de leur sensibilité, mais sur le degré de communication possible. C’est du reste une idée qui existe au sein de l’espèce humaine. On se sent plus proche de quelqu’un avec qui on peut échanger, à travers une langue partagée, que de quelqu’un avec qui l’on ne peut communiquer. Ma conviction est que l’absence de communication nous a conduits à avoir des principes d’interdiction de cruauté avec les animaux qui n’étaient pas, à l’origine, fondées sur l’animal, mais sur l’homme.
Aurélien BARRAU, Louis SCHWEITZER, L’animal est-il un homme comme les autres ? Les droits des animaux en question, Malakoff, Dunod, 2018, p. 34.