En résumé, la recherche des deux valeurs, liberté et sécurité, toutes deux avidement convoitées puisque indispensables à une vie digne et heureuse, convergent sur le discours actuel sur l’identité. Il est de notoriété publique que ces deux voies de recherche échappent à la coordination, chacune tendant à mener au-delà du point auquel l’autre voie risque d’être ralentie, arrêtée voire contrainte à faire marche arrière. Alors qu’aucune vie de dignité ou vie humaine satisfaisante n’est concevable sans addition de liberté et de sécurité, il est bien rare que l’on parvienne à un équilibre satisfaisant entre ces deux valeurs : si l’on doit se fier aux innombrables tentatives passées, qui ont toutes échoué, cet équilibre pourrait bien s’avérer irréalisable. Un déficit de sécurité entraine les pénibles incertitude et agoraphobie que « trop de liberté » – à la limite d’une licence pour le « tout est permis » – engendrera immanquablement. Un déficit de liberté, d’autre part, est vécu comme un excès de sécurité handicapant (nom de code « dépendance » pour qui en souffre).
Or lorsque la sécurité fait défaut, les agents perdent la confiance sans laquelle la liberté ne peut guère être exercée. En l’absence d’une seconde ligne de tranchées, peu d’individus en dehors des aventuriers tête brûlée peuvent trouver le courage nécessaire pour affronter les risques d’un futur inconnu et sans garantie ; et en l’absence de filet de sécurité, la plupart des gens refuseront de danser sur la corde raide et seront mécontents au possible si on les y contraint.
D’autre part, quand c’est la liberté qui fait défaut, la sécurité rappelle l’esclavage ou la prison. Pire encore, quand on le subit longtemps, sans répit, sans faire l’expérience d’un mode d’être alternatif, l’emprisonnement lui-même peut étouffer le souhait de liberté, en même temps que son usage et ainsi se transformer en l’unique habitat qui paraisse naturel et vivable – n’étant plus ressenti comme oppressif.
Zygmunt BAUMAN, La vie liquide, traduction Christophe Rosson, Paris, Fayard/Pluriel, 2013 (2005), pp. 61-62.