[…] En Europe, l’illibéral type est Viktor Orban, premier ministre de Hongrie. C’est un ex-dissident, héros de la lutte contre le communisme, qui devient Premier ministre en 1998 avec une étiquette libérale. […] Dans son discours du 26 juillet 2014, au lendemain de nouvelles élections victorieuses, il prononce un discours d’une clarté parfaite : « Jusqu’à présent, dit-il, nous connaissons trois formes d’organisation étatiques : L’État-nation, l’État libéral et l’État-Providence. Mais la question est : qu’est-ce qui va venir ensuite ? La réponse hongroise, c’est l’ère d’un État fondé sur la valeur travail doit leur succéder… Le nouvel État que nous construisons en Hongrie n’est pas un État libéral, c’est un État non libéral. » Certes ajoute Orban, le principe libéral est, très attractif : chacun est libre de faire tout ce qui ne nuit pas à la liberté des autres. Mais qui en décide ? En régime libéral, aucune instance n’est plus assez puissante pour imposer des limites, ce qui donne toujours raison au plus fort, au plus riche, au mieux placé. Il faut donc renouer avec un pouvoir fort quitte à ce que, entre deux élections libres, les libertés (notamment d’expression) soient limitées. Face à l’échec des démocraties occidentales impuissantes et décadentes, un autre modèle est à inventer pour l’avenir. Le libéralisme politique a cessé d’être l’horizon indépassable de notre temps. Ce discours d’Orban a l’immense mérite d’exprimer en toute clarté ce que d’autres ont fait et pensé en Europe et surtout ailleurs : les frères Kaczynski en Pologne, Vladimir Poutine en Russie, Roch Marc Christian Kaboré au Burkina Fasso, Paul Kagamé au Rwanda, Recep Tayyip Erdogan en Turquie, le cheik Zayed ben Sultan Al Nahyane aux émirats arabes unis, Rodrigo Duterte aux Philippines, Noursoultan Nazarbaïev au Kazakhstan…

À chaque fois, les situations sont bien sûr très différentes mais il est frappant de noter, chez tous ces dirigeants, une référence commune, souvent méconnue : Lee Kuan Yew (1923-2015), fondateur d’une doctrine appelée l’asiatisme. C’est elle qui fournit la base idéologique de la démocratie illibérale.

Pierre-Henri TAVOILLOT, Comment gouverner un peuple-roi ? Traité nouveau d’art politique, Paris, Odile Jacob, 2019, pp. 83-85.

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