Ce que la création de l’église du Monstre en spaghetti volant met en exergue, précisément, et que nous venons de constater en observant le rôle de régulateur endossé par le droit, c’est qu’il existe bel et bien un marché des religions et des convictions. Le sociologue Gérald Bronner donne même à ce troc permanent un nom : le « marché cognitif ». Il est fait d’offres et de demandes constantes. Un tel schéma permet de considérer les échanges d’une manière finalement assez simple : il y a d’un côté des humains ayant soif de comprendre leur environnement et de lui donner un sens ; et de l’autre une convergence de réponses donnant l’impression d’y répondre. Il y a naissance possible d’une religion lorsque cette offre et cette demande se rencontrent. « Dès que la nécessité du savoir se conjugue avec une carence en information, écrit Bronner, la probabilité d’apparition d’un objet sémantique relevant du croire n’est pas négligeable. » Celui-ci est composé d’une part de niches (les principales religions monothéistes forgées par les siècles) qui tolèrent assez peu les nouveaux arrivants. D’autre part, pourtant, de « jeunes pousses » tentent de grappiller des parts de marché, dans un climat de diversité, de mondialisation et d’accès à l’information qui fort logiquement stimule les vocations néoreligieuses, en particulier dans un contexte où les monothéismes classiques peuvent apparaître vieillis et dépassés. Toutefois, les grandes religions ont pour elles leur expérience, leur consistance et le poids de leurs structures. Elles bénéficient ainsi, pour rester dans l’allégorie du marché, d’une rente de monopole (dans les théocraties) ou de situation (dans les démocraties libérales) dont elles tirent encore les fruits : durant des siècles et des siècles, alors qu’il était inimaginable de ne pas croire, la religion faisait partie du lot de chacun, aussi sûrement que le soleil se levait. Rites, traditions, transmissions, lois dérivées, mœurs, coutumes : tout cela n’a fait qu’un durant longtemps. La religion n’était guère affaire de choix, mais de tradition. Il n’y avait aucune raison de ne pas suivre l’ordre du monde tel qu’il était établi.
Le problème posé par les pastafariens est qu’ils montrent qu’il se révèle relativement facile, au fond, de créer une religion de toutes pièces. Bien entendu, le vocable « religion » recouvre des réalités diverses. Ce que, communément, nous sommes habitués à qualifier de « religions » sont les trois grandes religions monothéistes et quelques autres comme le bouddhisme, l’hindouisme, etc. Nous éprouvons en général le sentiment les cultes monothéistes qui sont les nôtres seraient davantage aboutis, évolués. Mais ne serait-ce pas là que le fruit d’un simple biais d’anthropocentrisme ? Les croyances des peuples traditionnels, ou les croyances polythéistes des Grecs, des Romains, des Vikings ou des Gaulois, sont pourtant aussi de nature religieuse.
Ce que la création de l’église du Monstre en spaghetti volant met en exergue, précisément, et que nous venons de constater en observant le rôle de régulateur endossé par le droit, c’est qu’il existe bel et bien un marché des religions et des convictions. Le sociologue Gérald Bronner donne même à ce troc permanent un nom : le « marché cognitif ». Il est fait d’offres et de demandes constantes. Un tel schéma permet de considérer les échanges d’une manière finalement assez simple : il y a d’un côté des humains ayant soif de comprendre leur environnement et de lui donner un sens ; et de l’autre une convergence de réponses donnant l’impression d’y répondre. Il y a naissance possible d’une religion lorsque cette offre et cette demande se rencontrent. « Dès que la nécessité du savoir se conjugue avec une carence en information, écrit Bronner, la probabilité d’apparition d’un objet sémantique relevant du croire n’est pas négligeable. » Celui-ci est composé d’une part de niches (les principales religions monothéistes forgées par les siècles) qui tolèrent assez peu les nouveaux arrivants. D’autre part, pourtant, de « jeunes pousses » tentent de grappiller des parts de marché, dans un climat de diversité, de mondialisation et d’accès à l’information qui fort logiquement stimule les vocations néoreligieuses, en particulier dans un contexte où les monothéismes classiques peuvent apparaître vieillis et dépassés. Toutefois, les grandes religions ont pour elles leur expérience, leur consistance et le poids de leurs structures. Elles bénéficient ainsi, pour rester dans l’allégorie du marché, d’une rente de monopole (dans les théocraties) ou de situation (dans les démocraties libérales) dont elles tirent encore les fruits : durant des siècles et des siècles, alors qu’il était inimaginable de ne pas croire, la religion faisait partie du lot de chacun, aussi sûrement que le soleil se levait. Rites, traditions, transmissions, lois dérivées, mœurs, coutumes : tout cela n’a fait qu’un durant longtemps. La religion n’était guère affaire de choix, mais de tradition. Il n’y avait aucune raison de ne pas suivre l’ordre du monde tel qu’il était établi.
François DE SMET, Deus casino, Paris, PUF, 2020, pp. 148-150.