Un mythe n’est donc pas, au moins à sa naissance, un récit gratuit, de pure fantaisie, destiné au seul plaisir, à l’art, à l’enchantement c’est la réponse à une question, c’est la solution d’un problème, c’est toujours une explication – quelque chose qui relèverait, en somme, de la «philosophie», si l’on entend par là la démarche de notre esprit quand il « cherche à savoir» et à tirer au clair les grandes interrogations qui nous viennent devant le monde et devant nous-mêmes, dans la mesure où, pour les formuler et pour y répondre, nous ne nous plaçons point dans l’orbite propre à la «science». Cet apparentement du mythe et de la philosophie est si peu forcé, si obvie, que la première philosophie de notre monde, telle que l’ont élaborée les Grecs, est notoirement descendue en droite ligne de leur mythologie. Dans leurs théogonies mythologiques, dont le parangon est celle d’Hésiode, au VIII° siècle avant notre ère, on discerne déjà, non seulement les grandes questions et la problématique essentielle qui occuperont tous les philosophes grecs ultérieurs, mais même l’esprit général dans lequel ils y feront chacun sa réponse : unité intégrale de l’Univers : divin et humain ; unicité du principe des choses ; importance fondamentale du devenir, l’origine absolue ne se trouvant jamais considérée… Les premiers des philosophes grecs, eux-mêmes, ont encore gardé, chacun dans son système, des éléments d’ordre proprement mythique auxquels ils semblent commencer à donner une valeur universelle et abstraite : l’Eau de Thalès ; le Chaos d’Anaximandre ; l’Air d’Anaximène ; l’Amour et la Haine d’Empédocle… Et Platon en personne, quand des explications dialectiques lui paraîtront trop difficiles à mettre au clair, ou insuffisantes, gorgera des mythes pour leur servir de véhicule.

Jean BOTTÉRO, Naissance de Dieu, la Bible et l’historien. Paris, Gallimard, coll. Folio Histoire, 1992, p. 281.

A lire également