Ainsi, comme le montre l’historien des techniques Jean-Baptiste Fressoz dans une vidéo qui déconstruit nombre de mythologies technologiques, la notion de « transition énergétique » a été forgée en réponse à la montée en puissance des préoccupations écologiques des citoyens. Par l’introduction de la notion de « transition », l’action écologique est rendue implicitement compatible avec les projets de croissance, de plein emploi et de développement industriel à grande échelle. La « transition » véhicule en effet l’idée de politiques publiques prudentes, progressives, visant à en minimiser les coûts sociaux et économiques, tout en l’inscrivant dans un projet préexistant que personne n’envisage de modifier avec une once de sérieux. Comme avec la « RSE » (responsabilité sociale des entreprises) ou le « développement durable », termes forgés pour désamorcer les attaques écologiques contre les entreprises et les politiques dès les années 1970, le langage dépouille ainsi tout projet écologique de sa portée révolutionnaire, radicale ou même sulfureuse. Dans le cas de la « transition » énergétique, explique Fressoz, le langage ment : historiquement, il n’y a jamais eu de « transition » d’une forme d’énergie à une autre, mais une superposition et une accumulation de plusieurs sources d’énergie qui, ensemble, n’ont fait qu’accroître notre empreinte écologique. Depuis que l’écologie est entrée dans l’agenda politique, l’extraction s’est plutôt accélérée : la consommation de matière depuis 1990 représente un tier de tout ce qui a été extrait depuis 1990. Le secret de la « transition énergétique », c’est qu’elle n’existe pas : notre mix énergétique n’a jamais cessé de s’étendre, avec l’introduction de nouvelles sources, et il n’y a aucune raison pour que le mouvement s’inverse.
Diana FILIPPOVA, Technopouvoir, Dépolitiser pour mieux régner, Paris, Les liens qui libèrent, 2019, p. 189.