Pierre Bourdieu y recourt [au concept de violence symbolique] fréquemment dans divers travaux sur l’éducation, les jugements d’ordre esthétique, la domination masculine. […] il l’utilise surtout comme antonyme de la violence ouverte. Quand il se risque à la définir plus précisément, il la qualifie de « violence douce, invisible, méconnue comme telle, choisie autant que subie, celle de la confiance, de l’obligation, de la fidélité personnelle, de l’hospitalité, du don, de la dette, de la reconnaissance, de la piété, de toutes les vertus en un mot qu’honore la morale de l’honneur… ». Selon les contextes d’emploi, il s’agit donc soit de ce que Joan Galtung appelle la « violence structurelle », par opposition à la violence intentionnelle des personnes, soit d’une « violence psychologique » que Pierre Bourdieu s’interdit de nommer comme telle mais qui rappelle à l’évidence certaines pages célèbres de Mauss. La première résulte du fait que les normes culturelles, juridiques, institutionnelles exercent une pression qui engendre « une différence négative entre les possibilités d’accomplissement et leur réalisation effective » ; sous couvert de rationalité, ce sont en réalité les dominants qui imposent, de façon déguisée, leurs préférences et placent ainsi les dominés en situation d’infériorité. Quant à la seconde, elle s’inscrit dans une économie du don et de la dette où l’échange fait apparaître des obligations sanctionnées par le déshonneur, la culpabilité, la perte d’estime de soi.

Philippe Braud, Violence symbolique et mal-être identitaire, Raisons politiques, 2003/1 (no 9), p. 33-47. DOI : 10.3917/rai.009.0033. URL : https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2003-1-page-33.htm

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