La méthode scientifique décrit ce qui est (des faits, des phénomènes, des données) mais aucunement ce qui « doit être » et si les décisions politiques portant sur le choix d’une politique publique (concernant la santé par exemple) doivent être éclairées par les connaissances scientifiques (comme l’efficacité des vaccins), elles sont souvent inspirées par des valeurs très diverses (le respect de la vie humaine, l’équité et la justice sociale, le maintien de la paix, la croyance dans la vertu du dialogue social ou de l’exercice de l’autorité, etc.). Les décideurs prennent en considération, implicitement ou explicitement, une hiérarchie de priorités établie en fonction de considérations de nature sociale, économique et culturelle et parfois éthique (le rejet ou l’acceptation des inégalités par exemple) ; les décisions concernant l’extension de la PMA ont clairement cette dimension éthique. Bien entendu, la science n’est pas la seule à contribuer à faire émerger la vérité, la justice et, dans une certaine mesure, la presse, contribuent chacune à leur manière, par voie d’enquêtes, à sa découverte. Quant à l’art, la littérature, la philosophie et la théologie, elles envoient leurs propres messages. Pour résumer, les choix techniques, au sens large, supposent « un débat politique qui engage des choix de valeurs et une conception du développement économique et social ». Le rôle de la science est de contribuer à éclairer ce débat en mettant en évidence le « possible », quant au politique, il statue sur le souhaitable et l’acceptable.
Pierre PAPON, La démocratie a-t-elle besoin de la science ?, Paris, CNRS éditions, 2020, pp. 216-217.
Il est vrai qu’une large fraction du public et des décideurs politiques méconnaît les pratiques de la recherche et les normes de production du savoir, qui n’ont pas été toujours clairement explicitées, et ne réalise pas que la connaissance de la réalité peut être incomplète, voire confrontée à des incertitudes que le progrès de la science pourra lever.
La mission de l’expertise est de vérifier l’existence d’un consensus scientifique sur les questions posées et, si nécessaire, d’identifier les incertitudes qui subsistent. Le manque éventuel de transparence dans les processus et la complexité scientifique et technique de nombreuses questions a contribué à la mise en cause de la crédibilité de l’expertise. L’épidémie de la vache folle dans les années 1990, en est un exemple, dans la mesure où l’absence initiale de consensus sur les causes de la maladie et les dispositions à prendre pour l’éradiquer (notamment l’abattage des troupeaux) a compliqué le travail des experts tout en donnant lieu à des polémiques. Le progrès des connaissances – en l’occurrence la mise en évidence du rôle joué par l’accumulation de prions [agents pathogènes constitués d’une protéine] dans le cerveau des animaux – a rendu possible ce consensus. Plus récemment, la sensibilité de certaines personnes aux rayonnements électromagnétiques (émis notamment pas des antennes relais) a donné lieu à des polémiques qui ne sont pas closes. Là encore seul un savoir établi sur des faits vérifiés peut y mettre fin.
La mission de l’expertise est, en principe, d’évaluer de façon critique les bases techniques d’une décision politique, mais il apparaît, à tort ou à raison, aux yeux du public, que ce processus est parfois « symbolique », car une expertise peut être utilisée a posteriori pour justifier une décision qui a en fait déjà été prise, ce qui la décrédibilise.
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Dans une société, où le niveau d’éducation a fortement progressé depuis la Seconde Guerre mondiale (en France 45% de la population dans la tranche d’âge de 25 à 43 ans était titulaire d’un diplôme de l’enseignement supérieur en 2014), la capacité de la population à porter un jugement critique sur des choix techniques est plus important qu’il y a un demi-siècle. En France, dès les années 1980, la revendication citoyenne d’une « expertise élargie », impliquant un plus large cercle, s’est faite plus pressante, les pouvoirs publics étant incités à diversifier les points de vue sur des questions d’intérêt national ou régional (la construction de grandes infrastructures par exemple). La loi Barnier est une réponse à cette demande. Quoi qu’il en soit, un « déclin de la vérité » qui se traduirait par une perte de confiance de l’opinion publique, des dirigeants politiques et des acteurs économiques dans la capacité de la science à mettre au jour la réalité par des méthodes incontestées, serait fortement préjudiciable à la démocratie car elle affaiblirait le débat public sur bon nombre de questions de société.
Pierre PAPON, La démocratie a-t-elle besoin de la science ?, Paris, CNRS éditions, 2020, pp. 237-240.