Partant de là, qu’est-ce qui caractérise la philosophie comme forme de savoir ?
J’avance que c’est le fait que s’y posent des problèmes singuliers qui sont dans une importante mesure de nature conceptuelle. Typiquement, en effet, ils demandent ce que signifie exactement X – X pouvant être le savoir, la justice, la signification, la conscience, et ainsi de suite. Souvent, il faut du temps pour apercevoir ce qui pose problème et pour saisir pourquoi il y a des difficultés et des confusions et il faut, pour y parvenir, surmonter ces convictions immédiates que nous avons tous.
Ensuite, ces problèmes sont caractérisés par l’indétermination des méthodes qui conviennent pour les aborder : la philosophie est en effet caractérisée par une pluralité d’approches et quand un ou une philosophe en choisit une, il ou elle sait qu’elle devra défendre cette décision contre d’autres qui ont fait d’autres choix dont il ou elle peut fort bien par ailleurs convenir de la légitimité.
En troisième lieu, ces problèmes sont depuis longtemps débattus : pour les traiter, l’appropriation de cette tradition est un préalable incontournable. En ce sens, il y a en philosophie une actualité de la tradition qui est très spécifique à cette discipline. Elle explique qu’on puisse relire Platon comme aucun physicien ne lirait Newton (on ne le lit d’ailleurs plus, si on étudie la physique) ou aucun littéraire ne lirait Cervantès.
Finalement, cette idée est intimement liée à la précédente et explique leur pérennité, les questions et les problèmes discutés en philosophie ont pour l’humanité une grande importance ou si l’on préfère une forte charge cognitive : ce qui y est discuté n’est ni banal ni trivial et les enjeux, intellectuels, moraux mais aussi, bien souvent, pratiques sont élevés. Ces questions sont constamment reprises dans ce que j’appellerais une grande conversation qui se poursuit depuis toujours.
Normand BAILLARGEON, Liliane est au lycée, Est-il indispensable d’être cultivé ?, Paris, Flammarion, 2011,pp. 71-72.