La désobéissance civile peut, tout d’abord, être définie comme un acte public, non violent, décidé en conscience, mais politique, contraire à la loi et accompli le plus souvent pour amener à un changement dans la loi ou bien dans la politique du gouvernement. En agissant ainsi, on s’adresse au sens de la justice de la majorité de la communauté et on déclare que, selon son opinion mûrement réfléchie, les principes de la coopération sociale entre des êtres libres et égaux ne sont pas actuellement respectés.
[…]
Pour justifier la désobéissance civile, on ne fait pas appel aux principes de moralité personnelle ou à des doctrines religieuses, même s’ils peuvent coïncider avec les revendications et les soutenir ; et il va sans dire que la désobéissance civile ne peut être fondée seulement sur les intérêts de groupe ou sur ceux d’un individu. Au contraire, on recourt à la conception commune de la justice qui sous-tend l’ordre politique. Nous avons fait l’hypothèse que, dans un régime démocratique relativement juste, il y a une conception publique de la justice qui permet aux citoyens de régler leurs affaires politiques et d’interpréter la constitution. La violation persistante et délibérée des principes de base de cette conception, pendant une certaine période, et en particulier l’atteinte aux libertés fondamentales égales pour tous invitent soit à la soumission soit à la résistance. En se livrant à la désobéissance civile, une minorité force la majorité à se demander si elle souhaite que ses actions soient ainsi interprétées ou si, se basant sur le sentiment commun de justice, elle souhaite reconnaître les revendications légitimes de la minorité.
John RAWLS, Théorie de la justice, traduction Catherine Audard, Paris, éditions Points, collec. Essais, 2009 (1971), pp. 403-404.