Car c’est bien dans notre cerveau, là aussi, qu’il faut chercher les raisons de refuser fermement aux animaux les privilèges que l’on peut accorder aux hommes. Prenons garde, donc, au prétexte de combattre légitimement une vision anthropocentrée du monde, à ne pas sombrer dans une forme d’anthropomorphisme qui prêterait aux animaux des traits psychologiques trop humains. Notre cerveau a des capacités qui nous éloignent du monde animal non par sa taille, mais par l’arborescence neuronale qui y est beaucoup plus complexe qu’ailleurs dans le monde du vivant et le constitue comme un des objets les plus fascinants de l’univers. La complexité de cet objet caractérise une espèce, la nôtre, qui s’arroge des droits mais qui les assortit de devoirs. Or, l’un n’allant pas sans l’autre, la difficulté d’accorder des droits aux animaux est que leur cognition ne saurait permettre leur permettre de s’acquitter des devoirs qu’impliquent les droits qu’ils obtiendraient.
Admettre une hiérarchie entre nous et eux, ce n’est pas pour autant s’autoriser à les faire souffrir inutilement, car respecter leur souffrance est précisément l’un de ces devoirs que l’humanité peut se donner à elle-même. Mais elle ne doit pas le faire en dotant ces êtres qui nous sont chers des atours de l’humanité, sinon les animaux deviennent facilement l’objet d’une adoration puisqu’ils seraient nos égaux et, en même temps, dépourvus des mauvaises intentions dont sont capables les humains.
Gérald BRONNER, Cabinet de curiosités sociales, Les animaux sont-ils des humains comme les autres ? Paris, PUF, 2018, pp. 227-228.