haque après-midi, à deux heures, je participais aux expériences scientifiques d’entraînement intensif. Cela ne comportait aucun danger en dehors du fait que je finis par souffrir de périostite et d’une carence en vitamines et en sels minéraux (c’était l’un des paramètres qu’ils mesuraient). J’avais des vertiges et me sentais surentraînée, les muscles douloureux et extrêmement fatiguée. Je devais veiller à beaucoup manger et dormir pour trouver la force suffisante. Pour autant, je ne me plaignais pas, bien au contraire. Si longtemps que je prenais part à cette expérience spécifique, j’étais à l’abri de la table d’opération et des dons. En raison de la fatigue, je n’avais même pas à donner mon sang ou du plasma. J’en vins à aimer cet épuisement comme s’il était un ami fidèle, voire carrément un ange gardien. Au cours de mes premiers mois à l’Unité, la plupart des gens que je connaissais donnèrent au moins une partie d’un organe ou des tissus : Erik, l’animateur, donna un morceau de son foie ; Alice, une de ses cornées ainsi que des ovules pour la culture de cellules souches (paradoxalement, ses ovaires fonctionnaient encore) ; Elsa donna également des ovules et de la peau ; Lena, un rein ; Johannes, un petit bout de son intestin grêle – c’était une innovation qui n’avait quasiment jamais été tentée auparavant. Quant à Vanja, la compagne d’Erik, elle donna son cœur et ses poumons et ne revit évidemment pas. Erik était effondré.
Notre vie quotidienne dans l’Unité de la banque de réserve tournait autour d’expérimentations scientifiques sur des spécimens humains. C’était essentiellement à cela que nous étions utilisés en réalité. Ils s’efforçaient de nous maintenir en vie aussi longtemps que possible et certains individus en pleine forme avaient vécu six ou sept ans à l’Unité avant leur don final. Ceux qui sont superflus constituent une réserve et ceux jugés nécessaires mais gravement malades, reçoivent avant tout des organes produits à partir de leur propre cellules souches. Si cela ne fonctionne pas, ils sont placés sur une liste d’attente pour recevoir des organes de personnes jeunes déclarées en mort cérébrale suite à un accident. Ils n’utilisent les superflus que lorsqu’il apparaît évident qu’aucune autre méthode ou matériel n’est disponible pour un patient atteint d’une maladie grave ou dans les cas d’extrême urgence. Le tout – « cet élevage de porcs en plein air », pour reprendre l’expression rageuse d’Elsa – était finalement sensiblement plus humain que je ne l’avais imaginé au premier abord.
Ninni HOLMQVIST, L’unité, traduction Carine Bruy, Paris, Editions SW Télémaques,2011 (2006), pp. 142-143.