Il faut d’abord rappeler que les religions et philosophies de l’Asie n’ont pas produit autant de violence que celles de l’Europe et du Proche-Orient. Le phénomène s’explique-t-il par cette psychologie plus pacifique, ou plus débonnaire, qu’une généralisation facile attribue aux peuples de l’Asie ? Il demeure vrai, en tout cas, que ni l’hindouisme ni le bouddhisme ne requièrent la soumission et la foi en un dieu unique dont la transcendance fournirait la clé de l’univers, comme c’est le cas dans les trois monothéismes occidentaux.

Le moins grand nombre de violence d’origine religieuse, bien qu’on ne puisse oublier celles où s’affrontent hindous et musulmans en Inde, et qui sont des conflits entre communautés plus qu’entre dogmes, pourrait s’expliquer par la moins étroite interpénétration du pouvoir politique et de la religion en Asie si on la compare à l’Europe. L’Asie a évidemment connu des guerres de conquête, des guerres de domination politique. Mais elles n’ont pas autant qu’en Europe et au Proche-Orient été en même temps des guerres de religion, comme celles qui ont déchiré la France dans la seconde moitié du XVIe siècle, la guerre de Trente Ans qui a ravagé l’Allemagne dans la première moitié du XVIIe siècle, les guerres des premiers siècles de l’islam, ou l’affrontement contemporain entre sunnites et chiites au Proche-Orient, marqué par un enchevêtrement presque inextricable entre religion et politique.

La religion peut se trouver annexée au service d’une guerre dont l’origine n’est pas religieuse. Cependant, la religion peut aussi être à elle seule un motif de conflit, comme l’ont été les croisades, destinées initialement à ouvrir l’accès aux lieux de pèlerinages chrétiens en Terre Sainte, même si certains croisés se constituèrent des fiefs et des royaumes répondant à l’appétit du pouvoir et/ou gain.

Il semble que le moyen le plus raisonnable et le plus efficace pour conjurer les affrontements, que la différence entre les religions a si souvent provoqués, soit un régime indifférent aux croyances et les considérant toutes de façon égale. L’identité nationale n’est pas alors définie autrement que par l’égalité, pour tous, des droits et des devoirs, que la population soit culturellement homogène, comme c’est le cas au Japon, ou qu’elle englobe des appartenances communautaires différentes, comme en France, où ces dernières doivent composer avec l’allergie, héritée de la Révolution, au communautarisme.

L’indifférence de l’État laïque aux religions ne signifie pas du tout hostilité. Au contraire, elle est un garant de la liberté de conscience et de la liberté des cultes, dans la mesure où l’état n’intervient ni sur l’exercice de ces derniers ni, moins encore, sur le contenu des croyances. Dès lors, la laïcité est un projet d’émancipation, qui permet à chacun d’être maître de sa spiritualité, y compris les partisans des humanismes agnostique et athée (Pena-Ruiz, 2016).

Claude HAGEGE, Les religions, la parole et la violence, Paris, Odile Jacob poches, 2020 (2017), pp. 216-217.

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