Ces considérations donnent du poids à notre proposition selon laquelle la source du public est la perception des conséquences qui sont projetées de manière importante au-delà des personnes et des associations directement concernées par elles ; selon laquelle également l’organisation d’un public en État est effectuée par l’établissement d’organismes gouvernementaux spéciaux qui réglementent ces conséquences et en prennent soin. Mais elles suggèrent aussi que les états réels présentent des traits assurant la fonction qui a été énoncée et qui servent de marque pour tout ce qui est appelé un État. Une discussion portant sur ces traits définira la nature du public et le problème de son organisation politique, de même qu’elle constituera un test pour notre théorie.

Afin de servir de marque et de signe quant à la nature de l’État, nous pouvons difficilement sélectionner un meilleur trait que celui qui vient d’être mentionné : la localisation temporelle et géographique. Certaines associations sont trop étroites et d’une portée trop restreinte pour donner naissance à un public, de même que certaines sont trop isolées les unes des autres pour former un même public. Pour une part, le problème concernant la découverte d’un public capable d’une organisation en un État est celui de tracer une limite entre ce qui est trop proche et trop intime et ce qui est trop éloigné et trop déconnecté. La contiguïté immédiate et les relations en face à face sont suivies de conséquences qui engendrent certes une communauté d’intérêts et un partage de valeurs, mais qui sont trop directes et trop vitales pour entraîner un besoin d’organisation politique. Les connexions internes à une famille sont familières ; elles donnent lieu à une connaissance de l’autre et à une attention immédiates. Le prétendu lien de sang qui a joué un grand rôle dans la démarcation d’unités sociales est largement corrélatif du fait que les résultats du comportement conjoint sont immédiatement partagés. Ce que chacun fait dans la famille affecte directement les autres et les conséquences sont appréciées immédiatement et intimement. Elles « rentrent à la maison », comme on dit. Une organisation spéciale destinée à prendre soin d’elles serait superflue. Ce n’est que quand les liens se sont étendus à une union de clans dans une tribu que les conséquences deviennent si indirectes que des mesures spéciales sont requises. Le voisinage est largement constitué d’après le même schéma d’association que celui dont la famille témoigne. Des coutumes et des mesures improvisées afin de faire face à certaines nouvelles urgences suffisent à en assurer le contrôle.

John DEWEY, Le public et ses problèmes, traduction Joëlle Zask, Paris, Gallimard, 2005 (1925), pp.121-122.

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