Je m’appelle Denis Mukwege. Je viens d’un des pays les plus riches de la planète. Pourtant, le peuple de mon pays est parmi les plus pauvres du monde.
La réalité troublante est que l’abondance de nos ressources naturelles – or, coltan, cobalt et autres minerais stratégiques – alimente la guerre, source de la violence extrême et de la pauvreté abjecte au Congo.
Nous aimons les belles voitures, les bijoux et les gadgets. J’ai moi-même un smartphone. Ces objets contiennent des minerais qu’on trouve chez nous. Souvent extraits dans des conditions inhumaines par de jeunes enfants, victimes d’intimidation et de violences sexuelles.
En conduisant votre voiture électrique, en utilisant votre smartphone ou en admirant vos bijoux, réfléchissez un instant au coût humain de la fabrication de ces objets.
En tant que consommateurs, le moins que l’on puisse faire est d’insister pour que ces produits soient fabriqués dans le respect de la dignité humaine.
Fermer les yeux devant ce drame, c’est être complice.
Ce ne sont pas seulement les auteurs de violences qui sont responsables de leurs crimes, mais aussi ceux qui choisissent de détourner le regard.
Mon pays est systématiquement pillé avec la complicité des gens qui prétendent être nos dirigeants. Pillé pour leur pouvoir, leur richesse et leur gloire. Pillé aux dépens de millions d’hommes, de femmes et d’enfants innocents abandonnés dans une misère extrême… tandis que les bénéfices de nos minerais finissent sur les comptes opaques d’une oligarchie prédatrice.
Cela fait vingt ans, jour après jour, qu’à l’hôpital de Panzi, je vois les conséquences déchirantes de la mauvaise gouvernance du pays.
Bébés, filles, jeunes femmes, mères, grands-mères, et aussi les hommes et les garçons, violés de façon cruelle, souvent en public et en collectif, en insérant du plastique brûlant ou en introduisant des objets contondants dans leurs parties génitales.
Je vous épargne les détails.
Le peuple congolais est humilié, maltraité et massacré depuis plus de deux décennies au vu et au su de la communauté internationale.
Aujourd’hui, grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, plus personne ne peut dire : je ne savais pas.
Denis MUKWEGE, Discours du lauréat du Prix Nobel de la Paix 2018, Oslo, 10 Décembre 2018.