Nous employons la notion de démocratie pour donner à des pratiques et à des procédures institutionnelles très différentes le même horizon normatif : celui de l’égalité, de l’émancipation et de l’autonomie des personnes dans le cadre d’un dessein collectif. Le terme de démocratie est d’abord employé pour désigner la légitimité acquise par le processus électif, soit le choix des représentants du peuple par le suffrage universel. Il est également utilisé pour évoquer les diverses formes prises par le mouvement social. Celles-ci s’exercent à travers un répertoire d’actions collectives telles que la grève, la pétition, la manifestation, ou à travers les formes moins organisées de la « société civile », telles que les associations et les collectifs de toutes sortes. On l’emploie enfin pour qualifier un idéal d’égalité dans les relations et les engagements de la vie quotidienne : dans le couple, dans la famille, à l’école ou au travail.
Dominique CARDON, Culture numérique, Paris, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 2019, p. 219.
Démocratie représentative et démocratie participative sont deux notions bien connues de la science politique. Or, internet nous a rendu attentifs à d’autres manifestations possibles de l’esprit démocratique. Via les outils numériques, une multitude d’engagements, de mobilisations, de coordinations et d’expressions collectives ont émergé en dehors des circuits traditionnels. Ils n’utilisent pas les instruments institutionnels, médiatiques et militants de la démocratie représentative, ni n’empruntent directement les canaux de consultation et de délibération de la démocratie participative. Ils prennent leur essor depuis la société des individus connectés : pétitions en ligne, vidéos à très haute popularité, circulation de hashtags, collectifs d’activistes menant des actions sur le web, mouvements sociaux, etc. Bien qu’il soit difficile de les agréger et d’en faire la synthèse, les voix des internautes se manifestent, se partagent, se disputent ou se soutiennent pour former l’immense bruit de fond qui émane désormais de la société des connectés. Comme l’observe Pierre Rosanvaillon dans la Contre-démocratie, le centre des démocraties s’est déplacé vers la société. On a donné beaucoup de noms à cet « en dehors » : société civile, espace public, société des individus. Nous retiendrons ici le terme de démocratie internet ou de société des connectés.
Dominique CARDON, Culture numérique, Paris, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 2019, pp. 221-222.
La tripartition démocratie représentative, démocratie participative, démocratie internet, permet de mieux cerner le rôle transformateur des technologies numériques. Nous allons voir que cet effet est plutôt limité sur la démocratie représentative, encore incertain sur la démocratie participative mais qu’il est nouveau et perturbant dans le cadre de la démocratie internet. Peu d’innovations technologiques ont été investies de promesses politiques autant que ne l’a été internet. La décentralisation, l’horizontalité et l’auto-organisation privilégiée par le réseau des pionniers invitent spontanément à y projeter un contre-modèle politique qui renouvellerait les formes vieillissantes de la démocratie représentative. C’est dans ce sens que l’on doit interpréter l’effet global du numérique sur les institutions politiques : dans l’esprit utopiste […] il encourage la liberté d’expression, l’auto-organisation et les critiques à l’encontre de la forme restreinte et fermée de la démocratie représentative.
Dominique CARDON, Culture numérique, Paris, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 2019, p. 222.