Si elle ne s’y réduit pas, la philosophie est irrémédiablement liée à la littérature sous toutes ses formes. Que ce soit à travers les recherches d’Edwige Chirouter ou le témoignage poignant de Ruwen Ogien dans son ultime ouvrage Mes mille-et-une nuits, la maladie comme drame et comme comédie, on ne compte plus les occurrences de ces accointances.
Cependant, comme souvent en pédagogie, plusieurs écueils parsèment la route d’une intégration réussie. Et la particularité de la philosophie n’y arrange rien. Entre lire une œuvre prétexte à introduire des concepts ou des auteurs qui n’en avaient pas besoin et lancer une réflexion sur ce fameux livre qui parle si bien de : la condition humaine, l’existence, le sens de la vie, de l’importance des choses simples que l’on a, de justice (ce qui finit par ressembler à une grille de bingo), le risque est grand de singer la démarche didactique en croyant faire plaisir à des élèves qui auront l’impérative gentillesse d’être content de voir un film, de lire un manga, etc.
Comme indiqué dans notre réflexion sur les Objets à potentiel philosophique nous sommes partisans de l’hypothèse selon laquelle le contexte scolaire corrompt nécessairement l’expérience esthétique, culturelle ou intellectuelle des œuvres qui y sont présentées et travaillées. Loin d’être un problème, c’est une donnée qu’il nous semble important de penser en amont afin de s’assurer de l’adéquation entre l’intention pédagogique et le dispositif mis en place. Et plus encore lorsque nous voulons pouvoir évaluer les raisons de ces fois où ça ne marche pas sans jeter l’unique faute sur nos heures de travail ni sur le groupe qui n’aurait pas joué le jeu.
Principe
Les AId’OC sont des dossiers basés sur la lecture de mangas, bd, nouvelles ou le visionnage de court-métrages d’animation. Ils s’articulent autour de quatre idées majeures :
- Présenter et introduire les spécificités du medium. Le plus souvent en complément du cours de français, cette optique a pour but de faire découvrir d’autres grammaires qui sont capables de véhiculer des idées, des concepts, des émotions…
- Pousser les apprenants à sortir d’une approche descriptive de l’intrigue pour les habituer à interpréter, à prendre en compte la narration et à évaluer la pertinence des interprétations données.
- Offrir des occasions de renforcer des habiletés de pensée à partir d’objets engageants. Plutôt qu’une présentation de philosophes ou de concepts de l’histoire de la philosophie, ces dossiers privilégient une approche de l’ordre du philosopher.
- Habituer les apprenants à être actifs dans l’interrogation et la remise en question des représentations du monde et autres liens conceptuels véhiculés par les œuvres culturelles.
Que ce soit par leur particularité culturelle, leur construction narrative ou leur impératif d’efficacité dans la présentation des enjeux de l’intrigue, de nombreuses œuvres véhiculent un imaginaire qui n’est pas forcément remis en question. Si elles l’ont toujours déjà fait, il apparaît que le changement d’habitude de consommation de ces œuvres, par son caractère compulsif, laisse moins de place à la réflexion critique (quel que soit son objet). Loin d’une envie de dire comment on devrait appréhender et percevoir ces œuvres, la volonté au cœur de ces dossiers est celle d’un retour réflexif accompagné sur une œuvre découverte seul. Il s’agit d’habituer à ne pas se contenter des avis de surface et autres formules du prêt-à-penser.
Composition
Les AId’OC sont conçus pour limiter les difficultés aux apprenants dyslexiques (ce qui explique la taille de la police ainsi que le côté aéré). Pour plus de confort, il est préférable de manipuler une version imprimée comme une livre.
Bien qu’un fil rouge et une structure puissent apparaître dans la progression du dossier, l’ordre de parcours n’est somme toute que théorique. Il pourra sembler aux plus précautionneux qu’une partie des œuvres n’est pas nécessairement abordée, que certaines parties du dossier sont peut-être traitées avec rapidité et ils auront raison.
L’idée de ces dossiers n’est ni de faire une analyse en profondeur et multidisciplinaires de toutes les parties des œuvres découvertes, ni d’animer un atelier autour d’un des grands thèmes abordés par l’œuvre. Il s’agira à chaque fois, au moyen d’éléments délibérément choisis et mis en scène de manière à susciter la réflexion, de montrer qu’il est possible d’avoir une réflexion précise concise mais fertile à partir d’œuvres qui sont parfois vécues comme de simples divertissements. Il est évident qu’à de nombreuses occasions la discussion risque de s’enclencher, la visée de ce type de dossiers n’étant pas de suivre les rails d’un train, ces occasions peuvent être saisies pour renforcer les habiletés de pensée.
En voici la structure didactique.
1 – Présentation du medium et de ses spécificités
Sur quelques pages, nous proposons une introduction aux particularités du medium. Loin d’être exhaustives, ces quelques pages donnent des indications utiles qui pourront être exploitées dans le dossier.
Ces pages sont identiques pour chaque dossier partageant le même type de medium. Elles peuvent faire l’objet d’un explication en classe ou d’une découverte par l’apprenant.
2 – Vocabulaire “technique”
Dans un souci de compréhension et d’uniformité, nous présentons notre “nomenclature” en veillant à l’expliciter. D’expérience, de nombreux élèves limitent leur manière de commenter des œuvres à une présentation de l’intrigue et à l’exposition d’un jugement de goût. Or, à notre sens, l’intérêt d’une approche interprétative réside justement dans l’appréhension d’une narration qui permet de découvrir des thèmes moins évidents voire un propos de l’auteur. La précision sémantique a pour but ici de s’assurer que tous voient bien de quoi on parle et que l’on évite ainsi de ne travailler qu’avec ceux qui ont les codes.

3 – Appréciation critique
Sans but d’évaluation certificative, une appréciation critique de l’œuvre sera demandée sous forme écrite à l’élève. Cette demande a pour but de faciliter la révélation des thèmes et de fluidifier le moment d’échange sur l’œuvre qui peut introduire la suite du dossier. Aussi, cette partie peut se faire en complément d’un autre cours. Elle permet également de s’assurer que les élèves les moins disposés à échanger en grands groupes aient un espace d’expression.
4 – Une première approche du récit
Dans cette première partie collective, il s’agira d’interroger des éléments qui ne sont pas directement liés au philosopher mais davantage à la dimension littéraire. Il peut s’agir de s’interroger sur le genre littéraire de l’œuvre en question, d’évaluer le résumé voire de le reformuler, etc.
Dans tous les cas, une partie consacrée aux grandes thématiques du récit est présente. Il est plutôt conseillé de ne pas embrayer sur une discussion concernant ces thématiques car elle rendrait la spécificité de l’œuvre complètement secondaire. De plus, ces thématiques seront certainement abordées plus loin dans le dossier.
5 – A la loupe
Cette partie est consacrée à l’étude d’un des principaux protagonistes (quand il y en a) et s’appuie tant sur des éléments de narration, que sur des notions philosophiques lors de la caractérisation du personnage.
Dans cette partie, on mettra essentiellement l’accent sur l’évaluation de la pertinence des interprétations proposées.
6 – Grammaire medium
Tenant généralement en une face A4, il s’agit d’un moment d’analyse du récit en regard de la spécificité du medium par lequel il est diffusé. Le plus souvent, cette partie se propose d’analyser un bout de l’œuvre tout en prodiguant quelques éléments relevant d’un “gai savoir technique”.
7 – On en discute
Chaque œuvre choisie comportant plusieurs débats potentiels, cette partie est dédiée à la présentation d’un débat. Elle est généralement introduite par un exercice qui permet de poser les bases d’une conversation mesurée et intelligente pour éviter la réduction de l’échange à la simple exposition de son avis.
8 – Philons (x2)
Véritable moment philosophique du dossier, les pages phil(osoph)ons sont construites sur le modèle d’une exploitation (voir article Diotime) de l’œuvre. Toutefois, si la construction offre un cadre assez clair et déterminé sur le comment conduire la progression, il est nécessaire que cette progression se fasse de manière collective et collégiale. C’est là la principale raison du changement de ton dans le consignes.
Si les autres parties peuvent s’appréhender comme une série de requêtes qui feraient l’objet d’une vérification ultérieure (ce qui n’est pas l’objectif du dossier), les parties philons doivent faire l’objet d’une discussion et d’une animation de la part du professeur ou de l’animateur,car elles oscillent entre des moments qui font la part belle à l’interprétation et d’autres qui supposent une maîtrise des habiletés de pensée. Maîtrise qui est celle du professeur ou de l’animateur qui joue alors le rôle de “formateur pisteur”.
En conclusion
Si ces dossiers bénéficient déjà d’une certaine expérience concernant les difficultés à réussir une intégration en classe, ils sont appelés à évoluer d’année en année en fonction des retours du terrain.
N’hésitez donc pas, si vous utilisez ou vous inspirez des AId’OC à nous faire part de votre réflexion, de vos idées ou des difficultés rencontrées.