La montée en puissance de l’expertise accompagnant la technicisation croissante des enjeux des politiques publiques, dans des domaines aussi différents que l’énergie et la santé, les transports, qui sont souvent médiatisés, a conduit à sa mise en cause à partir des années 1980 et à ce que France Stratégie a appelé une « crise de confiance ». Elle touche l’expertise dans toutes ses dimensions (scientifique et technique, éthique, institutionnelle, économique et sociale), en France comme dans beaucoup d’autres pays. Elle se manifeste de plusieurs façons, allant du simple doute sceptique (notamment sur le bien-fondé de certaines vaccinations, contre la grippe par exemple), à la critique de toute prise de position d’institutions scientifiques. Elle s’explique d’abord par un sentiment de dépossession éprouvé par le « citoyen » : les experts « imposeraient » des choix techniques (des modes de communication, des campagnes de vaccinations, etc.) aux responsables politiques. Un sentiment qu’exprimait déjà le philosophe Paul Ricoeur, en 1991, dans une interview au journal Le Monde : « la décision se trouve ainsi captée et monopolisée par les experts ». En écho lointain au propos du philosophe, le même journal s’inquiétait, en mars 2020 lors de la crise sanitaire provoquée par le coronavirus, de la montée en puissance d’une « République des experts » et un juriste, Alexandre Viala, a estimé que la publication des avis du conseil scientifique sur lesquels s’appuyait le président de la République « révèle un processus institutionnel érigeant la science au rang de source normative ». On remarquera d’abord que nombre d’agences, d’autorités et de conseils émettant des avis fondés sur des connaissances scientifiques ont été créés par la loi ou en application d’une loi, et aussi que bien des mises en garde et des avis émanant de communauté scientifique ne sont pas pris en compte (il en va ainsi des alertes sur les risques que fait courir l’alcoolisme à la santé publique). Soulignons de nouveau que le rôle de la science est d’évaluer le « possible » (le risque de propagation d’une épidémie par exemple) et que le choix des moyens d’action appartient au politique. Il est vrai que celui-ci peut être tenté d’instrumentaliser la science et la technologie, la Chine en donne, aujourd’hui, un exemple.

Pierre PAPON, La démocratie a-t-elle besoin de la science ?, Paris, CNRS éditions, 2020, pp. 231-232.

A lire également