En théorie
De questionner à problématiser
Par l’emploi de l’infinitif, problématiser relève de l’action. C’est une manière de questionner qui s’accompagne d’autres actions comme explorer, évaluer, comparer, lier, délimiter, mettre en lumière etc. des objets de la pensée et leurs relations.
Questionner et se questionner arrivent généralement lors de nos conversations, de nos lectures, de rencontres avec l’altérité quelle que soit sa forme. Mais il ne suffit pas de poser des questions pour problématiser. Problématiser implique des processus supplémentaires.
Quel est le problème ?
Étymologiquement, problème vient du latin problema qui signifie « difficulté ». Ainsi, un problème est une difficulté rencontrée. Cependant, puisque nous sommes dans une démarche philosophique, toutes les difficultés ne peuvent prétendre faire l’objet d’une problématisation au sens philosophique. Il faut donc distinguer : les problèmes techniques (qui ne sont jamais philosophiques), les problèmes moraux et politiques (qui peuvent faire l’objet d’un traitement philosophique mais pas nécessairement) et les problèmes qui sont traités philosophiquement.
Un problème technique est un problème qui fait intervenir des éléments, des processus et des procédures propres à une discipline ou un champ de recherche. Le problème technique est toujours traité selon la particularité de la discipline à laquelle ou auxquelles il appartient.
Exemple : L’approvisionnement d’une denrée (logistique), la possibilité de faire appel d’une décision judiciaire (procédure juridique), la gestion à distance de mon chauffage etc. (domotique), etc.
Un problème moral ou politique est un problème dont le traitement fait intervenir des valeurs, des désirs, des représentations et considérations sur comment vivre ensemble, selon quels principes, etc. Le problème moral ou politique met en lumière ce qui rend difficile la vie en communauté ou par rapport à des communautés (quelle que soit leur taille : couple, famille, clans, États, Continent, etc.).
Exemple : La diminution de libertés (consommation, circulation, etc.) en temps de pandémie. L’organisation de la solidarité à l’échelle d’un État, etc.
Un problème traité philosophiquement est un problème qui fera l’objet d’un questionnement ou d’une remise en question portant sur la manière même dont il est posé et les solutions évidentes qui sont suggérées pour le résoudre. Un problème n’est pas nécessairement une question, ce peut être aussi une affirmation que l’on remet en cause. De la sorte, traiter philosophiquement un problème c’est le retourner dans tous les sens pour s’assurer de n’omettre aucun détail ou élément constitutif de la difficulté visible ou cachée.
De ce fait, des problèmes peuvent apparaître alors qu’ils n’étaient pas visibles dans les difficultés initialement abordées. C’est pourquoi problématiser doit être vu dans ce cours comme la mise en scène de la pensée. Cette mise en scène consiste à montrer et détailler le chemin que l’on parcourt par la pensée et celui qu’on estime qu’il reste à parcourir à partir d’un questionnement ou d’une affirmation.
Doc’utile
La problématisation dans ce cours de philosophie et citoyenneté
Il existe plusieurs méthodologies liées aux finalités de l’entreprise de la problématisation philosophique. Grossièrement, on peut distinguer deux catégories : celles qui prennent pour horizon les causes et les origines des difficultés et de leurs résolutions ; celles qui prennent pour horizon les enjeux et l’anticipation des conséquences du traitement de ces difficultés.
La première comporte des entreprises de généalogie, d’explicitations de concepts dans l’histoire des idées. Cette méthodologie partira le plus souvent d’affirmations, de thèses ou de concepts pour montrer en quoi et comment ils abordent des difficultés et essaient de les régler. C’est l’approche que l’on retrouve, par exemple, dans l’abécédaire de Deleuze :
Si on fait de la philosophie abstraitement, on ne voit même pas le problème. (…) et si vous n’avez pas trouvé le problème auquel un concept répond, alors tout est abstrait, si vous avez trouvé le problème, tout devient concret. (…) Pourquoi est-ce dans la cité grecque ? Pourquoi est-ce que c’est Platon qui invente ce problème ? Le problème c’est : « Comment sélectionner les prétendants ? » et le concept, et c’est ça la philosophie, c’est le problème et le concept, le concept c’est « l’idée » qui est censée pouvoir donner les moyens de sélectionner les prétendants…
Source : L’Abécédaire de Gilles Deleuze, H comme historie des idées, documentaire français produit par Pierre-André Boutang tourné entre 1988 et 1989, qui consiste en une série d’entretiens entre le philosophe et Claire Parnet. https://youtu.be/y7Fmp0gty8Q
La deuxième, moins académique, se propose de questionner – si c’est présenté comme une difficulté – ou de révéler – le plus souvent dans ce cours – ce qui fait difficulté en variant les approches et les questionnements. L’idée ici est de révéler les présupposés et, de là, les conséquences probables dans la manière de résoudre ce problème. La problématisation, entendue en ce sens, est donc moins une entreprise liée à la résolution de problèmes (ce qui ne l’empêche pas de le faire) qu’une entreprise de mise en lumière de difficultés cachées et dont l’ignorance risque de rendre caduc toute entreprise de résolution.
Dans le cadre de ce cours, dont l’objectif est d’articuler la démarche philosophique aux enjeux et à la pratique de la citoyenneté, nous travaillerons davantage selon cette deuxième catégorie, privilégiant ainsi la révélation de difficultés sous-jacentes à des situations, propositions, thèses, qui ne semblent pas en porter, ou en portent d’autres davantage techniques ou politiques que philosophiques.

Une distinction utile
En philosophie et citoyenneté, on peut distinguer deux actions différentes, mais complémentaires, dans la problématisation. Soit clore et résoudre un problème.
Clore un problème signifie qu’on en a dessiné les contours. Que nous avons déterminé ou évalué « l’espace » dans lequel notre réflexion va se développer. En clôturant un problème, on s’évite de trop s’égarer, de ne trop s’éloigner de la question initiale. C’est une sorte de cartographie. En ce sens, souvent, on a l’impression que les philosophes ne répondent jamais vraiment aux questions. En fait, ils commencent par « s’assurer » de la question.
Comme son nom l’indique, la résolution d’un problème est la recherche et, parfois, la découverte d’une solution à un problème. Cette solution apparaît le plus souvent dans les concepts construits par les philosophes.
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