3.1.4 Liberté et responsabilité


Compétence visée

Problématiser les concepts de responsabilité et de liberté comme conditions de possibilité de l’engagement individuel et collectif.

Il s’agira d’être capable de détailler les concepts de liberté et de responsabilité ainsi que d’évaluer l’influence qu’ils ont l’un sur l’autre dans des cas concrets. C’est être capable dans une situation concrète de la vie de montrer en quoi la responsabilité engagée des personnes est liée à leur degré de liberté et être capable d’interroger la légitimité de cette relation.

En guise d’accroche

Si le concept de liberté est très certainement le plus facile à aborder des concepts en philosophie, il est également l’un des plus difficiles à traiter. La raison est simple, la liberté est une notion centrale des démocraties libérales et est un enjeu important de la vie adolescente ce qui le rend engageant, mais il est également très piégeux en ce qu’il mène rapidement à deux écueils qui rendent son traitement difficile tant ils semblent valoir en eux-mêmes : « la liberté c’est faire ce que l’on veut » et « comme le dit Spinoza, nous ne sommes pas libres ! »

Pour éviter de ne tomber trop rapidement dans des discussions métaphysiques qui laisseront une partie des élèves de côté et l’autre croire qu’il suffit de prendre un air inspiré pour traiter la liberté, nous partons d’une situation fictive proche de ce que l’on pourrait retrouver dans un roman d’anticipation. A travers cette fiction, il s’agira de traiter le concept de responsabilité qui, à bien y regarder, suppose celui de liberté. Cette accroche, qui est un jeu de rôle basé sur une proposition choc, se présente comme suit :

« 2032, l’annonce d’une nouvelle émission de téléréalité défraie la chronique. En effet, Tip Cut propose à ses candidats de gagner de l’argent en échange de parties de leur corps. Le principe est simple. Une valeur est attribuée (1,2,3,…) à chaque partie du corps. Les candidats, dans un système d’enchères à l’aveugle, proposent de se séparer des parties de leur corps. Une somme de 20 millions d’euros est offerte au candidat qui propose la plus grande valeur et décide de se séparer des ses membres. »

Une fois la situation problématisante installée, les élèves sont invités à dire s’il faut interdire ou autoriser cette émission de télévision, si l’on doit la diffuser ou non et ce, à travers une multiplicité de facteurs qui donneront un éclairage particulier. Ainsi, ce sera en tant que magistrat, membre du CSA ou spectateur qu’il leur sera demandé de réagir. On veillera bien évidemment à modifier les caractéristiques des participants de la fausse téléréalité qui deviendront tour à tour, enfant, handicapé mental, pauvre, etc.

L’idée de cette accroche, au-delà de créer le débat, est de faire varier les situations et, de ce fait, le sens du mot responsabilité qui pourrait être imputé en fonction du rôle de celui qui a le pouvoir d’interdire ou d’autoriser. Mais aussi, la variation doit apparaitre au niveau de l’engagement de la responsabilité des participants. Ainsi, un enfant qui veut participer avec l’accord de ses parents ne convoque pas la même sorte de responsabilité qu’un candidat lambda.

Cette accroche peut être plus ou moins largement exploitée en fonction de l’intention pédagogique. Toutefois, il faudra veiller à ce que la multiplicité des sens du mot responsabilité apparaisse au risque de ne devenir un banal exercice d’exposition d’une analyse morale de la situation. A ce titre, on sera peut-être amené à faire varier la situation initiale en fonction du public et de sa capacité à mettre de la distance. Par expérience, il peut arriver que face au caractère très improbable de l’émission de téléréalité, une large majorité du groupe-classe annonce que la réponse « non » est évidente pour toutes les questions et rendent l’accroche inefficiente. On pourra alors modifier la situation en indiquant que les candidats, au lieu de se faire couper des membres, chiffrent leur enchères au moyen d’un pourcentage de la surface de leur peau qui sera tatoué par des inconnus. On peut imaginer des variations chiffrées en fonction des parties du corps (le visage valant 5 fois plus que l’avant-bras par exemple). Tout aussi permanente pour le corps, mais moins spectaculaire, cette situation sera propice à la discussion.


Doc’utiles

On peut rattacher cette accroche à différentes émissions de téléréalité qui ont été diffusées par le passé. L’idée est d’ailleurs venue de celle intitulée The Swan où de jeunes mères américaines subissaient nombre d’opérations de chirurgie esthétique afin d’entrer dans les standards de beauté. Montrer l’extrait ou simplement en discuter permettra alors de marquer le côté tangible et actuel de cette réflexion sur la libre disposition de son corps en fonction des buts poursuivis.


Autre émission iconique qui inspira la variation, Just Tattoo of US va très loin dans la notion de consentement et affiche un cynisme assez inégalé. L’occasion de s’interroger sur la responsabilité des émissions de téléréalité qui justifient leur existence par le fait qu’il y a des candidats, des spectateurs et que les mécontents n’ont qu’à ne pas regarder.


Le concept de responsabilité

La longue introduction ayant permis de mettre en place les éléments nécessaires à la conceptualisation de la responsabilité, on présentera différents aspects tels les composants d’une molécule. Le côté artificiel de cette présentation et du travail de compréhension a pour but d’amener les élèves à bien observer et identifier les particularités des situations en cause et leur impact sur le sens du mot responsabilité. Nous en distinguons cinq (même s’ils sont plus nombreux) à savoir :

Être la cause d’un événement ou d’une chaîne d’événements.
Être conscient et lucide de ce que l’on fait.
Réparer les dommages causés par sa faute.
Reconnaître la liberté d’un choix opéré.
Répondre de ses omissions.

Au détour d’une série d’exercices issus de situations habituelles ou non, on vérifiera la maîtrise de ces différents sens. Des questions d’ordre plus philosophiques pourront alors s’inviter dans la discussion que ce soit à l’occasion de la première forme de responsabilité, ou par rapport à certaines prises de position concernant la responsabilité des individus dans la société.


Doc’utiles

Un éclairage sur le droit belge des notions de conscience et de responsabilité.



Le concept de liberté

A l’instar de la partie sur la responsabilité, celle sur le concept de liberté se veut ouvertement explicitante. On pourra également repartir de l’accroche pour y interroger les formes de liberté rencontrées ou, comme le propose le dossier, réfléchir à partir du manga Vinland Saga de Makoto Yukimura et de cette fameuse planche où la liberté est définie en négatif par le fait de maîtriser ses désirs (esclave de l’argent), pouvoir aller et faire ce que bon nous semble (esclave acheté par le maître) ou encore devient un manque inhérent à la condition humaine (esclave de quelque chose).

De cette planche, on pourra alors passer à une présentation relativement simple des notions de liberté. Reprenant le texte de Ruwen Ogien, on abordera trois formes de liberté à savoir la liberté politique négative, la liberté politique positive et la liberté métaphysique.

Se basant essentiellement sur la liberté politique (c’est-à-dire la liberté rattachée à la notion de désir et de volonté), l’approche de la liberté présentée ici n’abordera pas ou peu l’aspect métaphysique du libre-arbitre. On s’intéressera donc davantage aux questions qui touchent les capacités matérielles à agir, les cas d’influence et d’emprise ainsi que les questions liées à la limitation de la liberté dans la société… ce qui constitue déjà un vaste programme.


Doc’utiles

Makoto Yukimura, Vinland Saga, Tome 1, traduction Xavière Daumarie, Paris, Kurokawa, 2005.

LA LIBERTÉ NÉGATIVE

Selon la conception négative, comme je la comprends, nous sommes libres dans la mesure où personne n’intervient concrètement dans nos vies pour nous empêcher de faire ce que nous voulons, ou nous forcer à faire ce que nous ne voulons pas. Les contraintes qui portent atteintes à notre liberté négative sont purement extérieures : ce sont celles que nous impose la volonté d’autrui. La liberté négative ignore les contraintes intérieures, celles qui ont pour origine nos désirs incontrôlés ou nos croyances fausses. Même si nous sommes « prisonniers » de nos passions, nous serons, néanmoins, libres au sens négatif, si personne ne nous oblige à les ressentir, et si personne ne nous force à les combattre.

Comme projet politique, la liberté négative consiste à savoir ce qu’on ne veut pas, ce qu’on ne veut plus. Ce n’est pas avoir en tête une idée très précise de ce qu’on aimerait à la place. Les mouvements d’« indignés », qui surgissent un peu partout dans le monde d’aujourd’hui, montrent assez bien ce que les revendications de liberté négative peuvent signifier au plan politique.

LA LIBERTÉ POSITIVE

[…] La liberté positive est une conception philosophique qui s’oppose point par point à l’idée de liberté négative comme je l’ai caractérisée. D’abord, dans la perspective positive, la liberté politique ne se résume pas à un mouvement purement négatif. Être libre ne se réduit pas au fait d’échapper à l’intervention concrète des autres dans notre vie. Et se libérer ne signifie pas seulement rejeter ce qu’on ne veut pas ou ce qu’on ne veut plus. C’est aussi viser le bien : un monde meilleur, une vie plus pleine, etc.

Ensuite, la conception positive n’est pas neutre en ce qui concerne le genre de personne qu’il faudrait être, et le style de vie qu’il conviendrait d’adopter. D’après elle, en effet, être libre c’est être « maître de soi ». C’est agir de façon juste ou rationnelle. C’est œuvrer, entre autres, au bien commun en participant activement à la vie publique. Pour les amis de la conception positive, la liberté est une vertu qu’il faut impérativement distinguer de la « licence », cette fausse liberté qui nous conduit à suivre aveuglément nos désirs, à faire des choses folles, stupides égoïstes, irrationnelles.

Elle consiste, pour chaque être, individuel ou collectif, à se déterminer de façon autonome par la raison ou la réflexion, et à réaliser ainsi ce qu’il contient en lui de meilleur. En ce sens, c’est une conception « perfectionniste ».

LA LIBERTÉ MÉTAPHYSIQUE

Ces deux conceptions de la liberté sont politiques et non métaphysiques en ce sens qu’elles disent non pas ce qui est possible ou impossible, nécessaire ou contingent, mais ce qui est désirable ou indésirable du point de vue des genres de vie personnels et de la forme de la société, ou ce qui devrait être obligatoire, permis, ou interdit par la loi. Elles laissent de côté la question embrouillée de savoir si chacun possède le « libre arbitre » ou le choix d’agir autrement à tout moment sans être déterminé par le passé et les lois de la nature.

Les limites que la nature impose à nos actions, comme celles qui nous interdisent de sauter en longueur à plus de vingt mètres sans tricher, ne comptent évidemment jamais comme des obstacles à la liberté politique, qu’elle soit négative ou positive.

Ruwen OGIEN, L’État nous rend-il meilleur ? Essai sur la liberté politique, Paris, Gallimard, collection folio essais, 2013, morceaux choisis des pages 15 à 20.



Une vidéo assez complète du vulgarisateur « Monsieur Phi » qui a la bonne idée de revenir sur la part trop importante que l’on donne à la dimension métaphysique quand on aborde les questions de liberté et de libre-arbitre.

Quelques cas pour discuter

Afin de ne tout de même pas laisser de côté des réflexions un peu plus profondes que la simple évocation d’une différence entre liberté négative et liberté positive, on terminera le dossier sur plusieurs cas davantage littéraires. Pourquoi cette dimension littéraire ? Car elle permet de proposer des cas de figure assez radicaux et fertiles du point de vue du concept de liberté sans pour autant confronter les élèves à des questions trop vastes et ankylosantes comme peuvent l’être celles sur le destin, sur la responsabilité de Dieu, etc.

Pour ce faire, nous aborderons les difficultés philosophiques de la liberté à travers la figure d’une jeune fille qui, à l’instar d’un Edmond Dantès, décide de vouer sa vie à sa vengeance s’en rendant ainsi « esclave ». Véritable oxymore, cette décision de devenir esclave sera toutefois à distinguer d’une autre forme d’esclavage (que l’on pourrait dire moderne) où une autre jeune femme accepte de se faire tatouer contre de l’argent. Situation elle-même à distinguer de la terrible sentence de la grand-mère de Marjane selon qui : « Tout le monde a toujours le choix ».


Doc’utiles

Minoru Takeyoshi, Le couvent des damnés, traduction Yohan Leclerc, Grenoble, Glénat, 2015.

Luc Brunschwig et Roberto Ricci, Urban, Tome 1, Les règles du jeu, Paris, Futuropolis, 2011, p. 45.

Marjane Satrapi, Vincent Paronnaud, Persepolis.

En guise de vérification, d’évaluation

Au vu du caractère assez formel des éléments avancés dans la séquence, la vérification de la compréhension pourra se faire dans un exercice d’analyse d’un texte qui, les reprenant sans les citer explicitement, manie les concepts de responsabilité et de liberté tels qu’ils ont été abordés dans la séquence.

On pense au très court et intéressant texte de John Stuart Mill dans son célèbre De la liberté où il pose les bases de son principe de liberté tant qu’il n’y pas de nuisance. Un texte de philosophie abordable, qui permet d’exercer son œil pour y retrouver les traces des notions abordées pendant le cours, mais surtout qui, par sa nature d’extrait, invite à découvrir le livre et plus précisément la délimitation du champ de la non-nuisance.


Doc’utiles

Le fait seul de vivre en société impose à chacun une certaine ligne de conduite envers autrui. Cette conduite consiste premièrement, à ne pas nuire aux intérêts d’autrui, ou plutôt à certains de ces intérêts qui, soit par disposition expresse légale, soit par accord tacite, doivent être considérés comme des droits ; deuxièmement, à assumer sa propre part (à fixer selon un principe équitable) de travail et de sacrifices nécessaires pour défendre la société ou ses membres contre les préjudices et les vexations. Mais ce n’est pas là tout ce que la société peut faire. Les actes d’un individu peuvent être nuisibles aux autres, ou ne pas suffisamment prendre en compte leur bien-être, sans pour autant violer aucun de leurs droits constitués. Le coupable peut alors être justement puni par l’opinion, mais non par la loi. Dès que la conduite d’une personne devient préjudiciable aux intérêts d’autrui, la société a le droit de la juger, et la question de savoir si cette intervention favorisera ou non le bien-être général est alors ouverte à la discussion. Mais cette question n’a pas lieu d’être tant que la conduite de quelqu’un n’affecte que ses propres intérêts, ou tant qu’elle n’affecte les autres que s’ils le veulent bien, si tant est que les personnes concernées sont adultes et en possession de toutes leurs facultés. Dans tous les cas, on devrait avoir liberté complète – légale et sociale – d’entreprendre n’importe quelle action et d’en supporter les conséquences.

John Stuart Mill, De la liberté, traduction de l’anglais par Laurence Leget, Paris, Gallimard, 1990 (1859), pp. 176-177.



On peut également lire le très bon texte de Deci et Flaste sur les formes de liberté issu du très instructif Pourquoi faisons-nous ce que nous faisons, Motivation, auto-détermination et autonomie.


Pour conclure

Beaucoup de thèmes et de cas concrets ne sont pas abordés dans cette séquence faute de temps. On pense bien évidemment aux questions liées au déterminisme métaphysique, aux enjeux climatiques, à la question de l’engagement tant militant que politique (qui malheureusement est l’objet de deux U.A.A au deuxième degré alors qu’une répartition sur les 2e et 3e degrés l’instar de celles sur la démocratie aurait permis une véritable progression dans la réflexion). On pense aussi à la question du mérite, de la méritocratie, de l’illusion libertaire de l’auto-entrepreneuriat, de la responsabilité des influenceurs, de celle des émissions de téléréalité, etc. Toutefois, à bien y regarder, ces thématiques sont parfaitement appréhendables depuis cette séquence.

On l’aura compris, l’approche de cette unité d’acquis d’apprentissage a pour ambition de poser les jalons de plusieurs concepts-clés qui seront utilisés pour des réflexions futures comme celles (dans le cadre du cours de philosophie et citoyenneté) de l’État, de la bioéthique, du rapport à la culture, aux convictions et de bien d’autres encore.


Doc’utile

En complément à cette séquence, nous recommandons les vidéos de ces deux chaînes youtube axées sur l’analyse juridique de cas célèbres issus de la pop’culture et de la culture internet. Si la première n’a plus eu d’activité depuis des années, on y trouve bien belles idées de réflexions.


Laisser un commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s