En théorie
Pour le philosophe Michel Tozzi : conceptualiser c’est tenter de définir une notion, lui donner un contenu de signification. (MICHEL TOZZI, Débattre à partir des mythes, À l’école et ailleurs, Lyon, Chronique Sociale, 2006, p. 46)
Ainsi pour savoir ce qu’est conceptualiser – et par extension un concept – nous devons savoir ce qu’est une notion.
La notion en philosophie
Une notion est une idée vague, une connaissance approximative. Quand nous disons que nous avons des notions dans une langue ou dans une discipline, nous disons simplement qu’elle ne nous est pas totalement étrangère, mais qu’en même temps nous ne la « maîtrisons » pas. Le caractère vague de la notion peut tenir à notre méconnaissance (ex : la sérenpidité) ou à la complexité de cette notion (ex : l’amour).
Une notion, par opposition à un mot, est plutôt une représentation dans ma tête, qui est la façon dont un mot de la langue rend compte pour moi de ma propre expérience, de ma vision du monde.
Ibid. p. 46
De la notion au concept
Un concept est un contenu assez précis, général et abstrait à une notion désignée par un mot dans la langue, et qui permet de penser le monde. (Ibid. p 47.)
Par abstraction, on entend le fait d’isoler par la pensée l’un des caractères de quelque chose et à le considérer indépendamment des autres caractères de l’objet. Ici, les mots chose et objet sont entendus au sens de « ce dont on parle », « ce que l’on vise par cette opération ».

Doc’utile
Une présentation de la conceptualisation par Michel Tozzi.
Les relations entre concepts
Nous venons de le voir, selon une définition large, le concept est une entreprise de précision de notions qui cherche la mise en avant du caractère général et abstrait. Plus simplement, conceptualiser c’est montrer en quoi il ne s’agit pas seulement de ma représentation, mais d’une construction qui prétend valoir pour tous et qui s’applique à des cas concrets. Après tout, que vaudrait le concept d’amitié s’il ne se trouve aucune relation qui satisfasse ce concept et au sujet duquel, je serai le seul à saisir ce qu’il signifie. Ainsi, par cette obligation de faire sens, un concept n’est pas une entité isolée qui vaut pour elle-même. Il s’inscrit dans un réseau plus large où d’autres concepts, notions ou attributs peuvent entrer en relation et lui donner un sens particulier.

Pour les plus visuels, on peut imaginer la conceptualisation comme un ensemble d’étoiles qu’on relie ou délie. Contrairement au dessin sur une feuille blanche, la prise en compte des points ne me permet pas de faire ce que je veux, mais invite à interroger les liens et les relations et à les changer au cas où.
En ce sens, conceptualiser ne revient pas seulement à préciser une notion mais à la « construire » en regard des autres concepts, des attributs qui lui sont essentiels mais aussi de celles et ceux qu’ils ont en commun avec d’autres concepts.

Dans le travail de conceptualisation tel qu’il peut s’engager avec les élèves, il nous semble important de distinguer deux degrés de conceptualisation qui, s’ils participent tous deux à cette habileté de pensée, impliquent des difficultés voire des enjeux différents pour les apprenants.
Selon le premier degré, l’entreprise de conceptualisation porte essentiellement sur une approche usuelle du concept. C’est le lieu où la notion gagne en précision et obtient son contenu de signification. C’est une étape importante en ce qu’elle distingue le langage courant d’un usage précis, minutieux et à dessein des notions et des concepts qu’elles rendent possibles.
En ce qui concerne le deuxième degré, le choses semblent se compliquer pour les apprenants. Du fait de son caractère « formel », ce deuxième degré, que l’on peut dire lié à une approche disciplinaire, ne focalise plus l’attention uniquement sur les contextes d’apparition (qui est le lieu des exemples où se « réfugient » les apprenants quand ils doivent conceptualiser), mais sur la dimension abstraite qui fait la part belle aux constructions intellectuelles et aux jeux logiques.

En guise d’exemple
Dans Le couvent des damnés, la mangaka montre la détermination de son héroïne dans une scène d’exposition où cette dernière, subissant un test de virginité en public dont le but est de l’humilier, montre par une regard sans faille et une association de notions assez complexe qu’elle n’a pas honte.

Minoru Takeyoshi, Le couvent des damnés tome 1, Glénat.
Selon le premier degré, on aborderait la honte selon le contexte, on essaierait de tirer les attributs essentiels de la honte. Or, comme nous pouvons le voir, dans cette case de BD, les attributs de la honte sont mêlés à ceux d’autres notions dans des jeux d’opposition et de causalité. Réseau bien plus complexe que la simple exposition ne laisse supposer (à laquelle il faut ajouter le regard de l’héroïne comme élément de conceptualisation), conceptualiser la honte dans son rapport à l’amour propre en tant qu’il est volontairement tût demande un niveau d’analyse assez abstrait qui passera par le découpage et l’analyse des éléments essentiels de chaque notion invoquée pour y révéler les interrelations.
Participant tant l’un que l’autre à l’acte de conceptualisation, il nous semble que ces deux degrés doivent être envisagés selon une gradation qui marque une certaine aisance avec l’abstraction au fur et à mesure que l’apprenant avance dans son éducation philosophique. Ainsi, on peut voir comme indicateur de cette progression l’abandon du réflexe à chercher un exemple pour définir au profit d’une détermination du genre et des attributs des notions qui pourront être soumis à l’examen de contre exemples invalidant… Mais avant d’en arriver à ce stade (qui est le lieu de l’évaluation) il sera bon de choisir une méthode pour travailler la conceptualisation.
En pratique
Nous l’avons vu dans la partie théorique, conceptualiser se fait généralement à partir d’une notion vague. Conceptualiser est donc une entreprise qui vise à préciser ce dont on parle. Pour y arriver, on peut recourir à différentes méthodes plus ou moins intuitives voire les combiner entre elles. Mais avant il faudra veiller à éviter les TAUTOLOGIES, c’est-à-dire quand on définit un mot par lui-même… Dire « la liberté c’est le fait d’être libre » n’apporte rien à notre entreprise. On veillera donc à éviter cette étape infructueuse.
La conceptualisation par extension
Lorsque nous cherchons à préciser une notion, nous commençons généralement par en chercher des exemples variés. Pour exemple, la notion d’amitié me renvoie à mes propres amitiés, à celles que j’ai vues autour de moi ou dans des films. C’est d’ailleurs un premier réflexe de la conceptualisation : dire c’est quand…
Si cette approche est assez efficace dans un premier temps, il faudra veiller à ne pas en rester là. Faire le catalogue des exemples d’une notion n’est pas suffisant pour conceptualiser, car un concept est une généralisation abstraite et précise. On peut prendre pour exemple la chanson d’Oldelaf sur la « tristitude »… Si nous ne sommes pas sûrs d’être à même de préciser ce qu’est la « tristitude », cette approche n’en demeure pas moins un bon début.
La conceptualisation par genre et différence spécifique
Pour arriver au degré de généralité souhaité, on peut déterminer le concept selon le couple genre / différence spécifique. Le genre (ou catégorie d’objets) désigne le groupe d’appartenance. C’est-à-dire un ensemble auquel il appartient, c’est le fameux « chose » qui se cache derrière le « c’est quelque chose qui ». Par exemple, la colère appartient à la catégorie des émotions. La différence spécifique, quant à elle, désigne ce qui le distingue des autres, rend différente et particulière la notion en question. Si la colère est une émotion, ce n’est pas une émotion identique à la tristesse bien qu’elle en partage des éléments communs.
On veillera toutefois à faire attention à ce que certains concepts peuvent avoir plusieurs genres. Par exemple, la justice peut être une institution (tribunal, etc.), une valeur ou un idéal.
La conceptualisation par contraste et notions proches
Une autre méthode de conceptualisation, qui ressemble un peu à la recherche de différences spécifiques, consiste à préciser par contraste ou par notions proches. Ainsi, on pourra préciser une notion en cherchant les notions proches mais différentes. L’idée est alors de mettre en lumière les raisons de ces différences et, de là, ce qui empêche de les considérer comme identiques.
On privilégiera cette méthode si on ne parvient pas à trouver tout de suite le genre de notre concept. S’il n’est pas toujours simple de déterminer le genre auquel le concept appartient, trouver des notions proches dans le langage courant permet de dessiner les contours de notre concept sans avoir tout de suite besoin d’en déterminer le genre. On veillera donc à réfléchir aux notions proches mais qui se distinguent et qu’on ne peut pas confondre avec pour peu que l’on soit précis.
Par exemple, si je cherche à préciser ce qu’est le besoin mais que je ne trouve pas son genre avec certitude (est-ce un état, un manque, une situation, un ressenti ?), Il peut être utile de regarder ce qui le différencie du désir. S’il est évident qu’un désir n’est pas un besoin, le langage courant (voire la représentation qu’on se fait d’une situation) amène parfois à utiliser un mot pour l’autre.
La conceptualisation par recherche étymologique
L’étymologie peut se définir très grossièrement comme l’origine et l’évolution du sens d’expressions ou de mots au cours de l’histoire. On recourra à l’étymologie pour les notions qui ont du « poids ». C’est-à-dire des notions qui font depuis longtemps partie de la langue et de ses évolutions ou dont les nombreux sens possibles rendent la précision nécessaire, mais fastidieuse.
Prenons pour exemple le concept d’amour. En recourant à l’étymologie on « gagne » du temps en distinguant les sens du mot comme c’est le cas en grec ancien.

Doc’utile
Une vidéo complète (plutôt axée philosophie en lycée français) qui nous a inspiré dans l’élaboration de cet article.
En conclusion : une définition vulgarisée à destination des apprenants.
Conceptualiser c’est chercher à préciser les notions vagues qui sont utilisées couramment afin de ne plus être passif par rapport à ce que l’on nous dit. En ce sens, c’est chercher une forme d’autonomie tout en veillant à ce qu’elle soit légitime et partageable. C’est se permettre de demander et de proposer des précisions qui éclairent les sens cachés des mots, qui apportent des nuances aux notions employées et nous rendent une emprise sur ce qui nous est dit.